Antigone en Amazonie de Milo Rau

Antigone de Sophocle, un même combat avec le mouvement des travailleurs ruraux des Sans-Terre de l’Amazonie (MST).

Antigone en Amazonie de Milo Rau

Engagé pour un théâtre politique du réel, l’auteur et metteur en scène Milo Rau - directeur du Théâtre national de Gand (NTGent) depuis 2018 et bientôt directeur artistique du Wiener Festwochen - clôt sa trilogie antique par Antigone, tragédie de la forêt amazonienne, interrogeant, avec des militants indigènes, la violence écocide d’un état complice de l’industrie agroalimentaire.

Telle est l’autopsie de la violence d’un État où la propriété privée écarte le droit ancestral à la terre - où ainsi est mis à mal, violenté, empêché et étouffé, le mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST).

Délimiter des terres inviolables réservées aux peuples autochtones est urgent : le Président Lula a promis de s’engager dans un plan d’action pour l’environnement et pour les minorités du Brésil, et il a nommé Sonia Guajajara ministre des peuples autochtones - un espoir.

« Cette folie doit cesser. Arrêtons d’être comme Créon. Soyons comme Antigone. Quand l’injustice devient loi, la résistance devient devoir », dit Kay Sara, l’actrice indigène, militante des Sans Terre.
Après un travail en 2020, avant la pandémie, les répétitions de Milo Rau d’Antigone en Amazonie, la lutte contre le tyran Kreon reprennent en mars/avril 2023 : tous les tyrans brésiliens sont Kreon.
« Il est des choses monstrueuses, mais rien n’est plus monstrueux que l’humain. »

À l’écran, le chœur entonne son chant tragique, au cœur de la mythique Thèbes et dans la province de Pará au Brésil où la jungle amazonienne brésilienne se désagrège.

Sur le vaste écran du lointain, fragmenté en panneaux verticaux distincts, les segments de l’immense autoroute construite dans l’enfer vert - chaleur et humidité écrasantes, moustiques, prédateurs et isolement infini. La Transamazonienne est un axe d’ouverture à l’exploitation effrénée des ressources de la forêt : élevage, cultures, mines d’or illégales et trafic de minerai de fer et de bois sur la plus grande forêt tropicale du monde.

Le théâtre s’impose, via la vidéo, au nord du Brésil, dans l’Etat du Parà, dans la forêt amazonienne. Le metteur en scène suisse rassemble autour de lui, activistes du Mouvement des Sans-Terre, indigènes, acteurs professionnels brésiliens et européens, sur le projet de la tragédie de Sophocle.
L’actrice indigène Kay Sara porte le rôle-titre, absente de la scène - elle ne joue désormais qu’avec des acteurs indigènes ou autochtones-, à peine présente à l’écran, elle est symboliquement.

Le chœur antique réuni pour le film, compte des survivants d’un grand massacre perpétré par le gouvernement brésilien contre les paysans, un certain 17 avril d’une des dernières décennies.
La tragédie se rejoue - celle d’Antigone qui se bat seule contre son oncle, le tyran Créon - Sara De Bosschere -, soutenue par son fiancé Hémon - Arne De Tremerie - qui se donne la mort après elle.
Antigone en Amazonie mêle plans filmés et scènes jouées en direct - échos et miroirs.


Le théâtre re-joue à la fois Sophocle et le réel : la pièce Antigone à l’écran est incarnée sur le plateau de scène, à l’instant même de la scène visionnée - reprise, dédoublement et répétition du tragique. Ce tissage de l’intime et de l’universel, du film et du plateau, rejoue l’oppression et le massacre des Sans Terre sur la Transamazonienne, comme la tyrannie sanguinaire de Créon, empêchant sa nièce d’enterrer son frère dignement.

D’un côté, les mouvements collectifs, la foule et le choeur tragique, qui résistent à l’esclavage, la soumission et l’asservissement - en vue de l’avenir ; et de l’autre, des scènes incarnées sur un plateau scénique couvert de terre rougeâtre par des comédiens flamands déjà cités, et les brésiliens Federico Araujo et Pablo Casella. Le premier incarne à l’écran une victime emblématique du massacre de la Transamazonienne, reprenant sur le plateau le personnage d’Antigone. Le second, musicien guitariste et multi-instrumentiste, est aussi le narrateur, évoquant, entre autres, la ségrégation dont les gens de couleur et les LGBTQA + sont l’objet au Brésil.

Politique féroce et geste artistique, le public est interpelé, tenu de prendre parti - raison et émotion.

Antigone en Amazonie, conception et mise en scène de Milo Rau. Avec Federico Araujo, Pablo Casella, Sara De Bosschere, Arne De Tremerie, et en vidéo Gracinha Donato, Ailton Krenak, Célia Maracajá, Kay Sara, le chœur des militantes et militants du Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra (MST). Dramaturgie Giacomo Bisordi, scénographie Anton Lukas, costumes Gabriela Cherubini, Jo De Visscher, Anton Lukas, lumière Dennis Diels, musique Pablo Casella, Elia Rediger, vidéo Moritz von Dungern, Fernando Nogari, Joris Vertenten, traduction Carolina Bufolin. En anglais, portugais, tucano, flamand et français sur-titré en français et en anglais Certaines scènes peuvent heurter la sensibilité du public. Festival d’Avignon IN - Les 16, 17, 18, 19, 21, 22, 23 et 24 juillet à 21h30 à L’Autre Scène du Grand Avignon - Védène.

Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.

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Véronique Hotte

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