Paris, à la Comédie-Française jusqu’au 23 juillet 2011
Agamemnon de Sénèque
Chronique d’une mort annoncée
La pièce de Sénèque raconte l’histoire du retour d’Agamemnon de la guerre de Troie, ou plus exactement l’attente de ce retour qui n’en finit pas de se faire attendre. Pas d’actions à proprement parlé, mais les voix isolées de chacun des protagonistes qui forment une polyphonie tragique, extension du chœur antique auquel elles se joignent. On y entend la furia de Clytemnestre (ardente Elsa Lepoivre), l’épouse délaissée du roi d’Argos, la mère malheureuse d’Iphigénie, les prédictions funestes de Cassandre (Françoise Gillard, le teint diaphane et le corps brisé de tant de malheur à porter), le récit de la mort en direct d’Agamemnon qui annonce la fin des Atrides. On est témoin des manigances cyniques d’Egisthe, le fils de Thyeste (Hervé Pierre). On participe à la douleur d’Electre (Julie Sicard, la révolte à fleur de peau), et surtout on est transporté par le récit halluciné du messager Eurybate, interprété magistralement par Michel Vuillermoz, qui constitue le cœur de cette pièce qui n’en est pas vraiment une. Nous voici soudain sur les flots déchaînés, assistant au naufrage de la flotte d’Agamemnon et à la colère des dieux. Récit homérique, dont Hugo se rappellera au meilleur de sa poésie épique. La puissance du récit, portée par le talent de Vuillermoz, nous fait le témoin direct de l’action décrite, un moment de théâtre pur où les mots se transmuent en images. On ne parle que du roi qui finalement ne paraîtra que dans une courte scène avec Cassandre, hiératique Michel Favory, drapé dans sa fonction pour museler l’accablement de tout son être.
La magie de l’artifice
Par un artifice qui est désormais sa marque de fabrique, le Québécois Denis Marleau imprime à sa mise en scène une ambiance spectrale et magique. En ouverture, alors que le rideau de scène est encore fermé, Thyeste (Hervé Pierre) fait entendre sa voix pour exhorter son fils Egisthe à la vengeance à travers les bouches d’ombre des Atlantes qui encadrent la scène du théâtre et par un jeu vidéo conçu par Stéphanie Jasmin, les lèvres des statues monumentales s’animent. Au fil du spectacle, en arrière-plan, sur un mur drapé de tissu blanc, apparaîtront des masques, ou plutôt des sculptures de visages neutres qui s’animent dans une démultiplication monumentale des visages des personnages dont les mouvements et les paroles se décalent, se chevauchent, échos de leur voix intérieure. On avait découvert ce principe admirablement maîtrisé lors de sa mise en scène des Aveugles de Maeterlinck dont il tenait à garder le secret pour amplifier l’effet.
Ainsi sont tissés ensemble le temps des actions et le temps du récit, les enjeux de ce drame nous sont étrangers, lointains et à la fois proches par les déchirements vécus par les personnages dans leur chair, par ce spectacle tragique d’une société qui bascule dans le chaos. La froideur de l’artifice conjugué à la présence ardente des acteurs portent haut l’art théâtral en démultipliant les dimensions comme les visages sur le drap blanc de nos espaces mentaux.
Agamemnon de Sénèque, traduction de Florence Dupont, mise en scène Denis Marleau, collaboration artistique et conception vidéo, Stéphanie Jasmin, scénographie Michel Goulet, costumes Patrice Cauchetier, compositeur Jean-Paul Dessy. A la Comédie-Française, à 20h30, matinée à 14h. Spectacle en alternance. Tel : 0825 10 16 80.
Site Web : http://www.comedie-francaise.fr/
Avec le concours d’UBU compagnie de création.
Photo Chrisptohe Raynaud de Lage