#VU

Si t’es trop vue t’es foutue

#VU

Lisa est trop ordinaire pour être draguée. Elle n’intéresse pas les glandeurs de sa classe. Mais lorsque Lucas la contacte sur le net, elle croit que l’amour, enfin, va arriver. Tellement qu’elle finit par lui envoyer un cliché de ses seins. Catastrophe : le lendemain ils s’étalent sur le net. Quolibets, injures, rejets, honte !

Ce fait divers scolaire, hélas ! devenu courant, est la caractéristique d’un phénomène sociétal abusif qui provoque bien des ravages auprès des ados. Les filles, surtout. Celles qui se laissent bercer, berner par un baratin amoureux hypocrite de chasseurs de cœurs, de collectionneurs de conquêtes.

Ce spectacle est un ardent avertissement pour une prise de conscience salutaire : les réseaux sociaux sont des moyens de communication antidotes à la solitude mais sont susceptibles de se transformer en effroyables machines à broyer ceux qui se laissent piéger par la déloyauté de manipulateurs sadiques et irresponsables.

Face au public, Lisa débarque lors d’une soirée où se sont rassemblés des anciens de son école. Elle est venue pour clamer combien sa mésaventure a été un calvaire, combien elle a souffert moralement d’avoir été malmenée dans sa réputation, dans la confiance qu’elle accordait à des sentiments qu’elle estimait profonds. Combien le regard des autres, après avoir été convié dans son intimité, est devenu méprisant, impitoyable, malveillant, ignoble.

Elle a été victime. Pire : instrument partiel de sa propre déchéance. Elle affronte maintenant son bourreau, ses juges. Ce n’est pas qu’elle veuille se venger. Elle est au-dessus de cette mesquinerie. Elle est venue dénoncer l’ignominie. Son objectif est d’amener à une conscientisation. Et cela vaut pour tous ceux qui sont assis dans la salle.

Julie Carroll, créatrice du rôle, a été remplacée par Elfée Durşen qui en donne une interprétation nuancée. Elle traduit les différents registres émotionnels de son personnage d’ado abusée, en restitue les réactions, les souffrances, les doutes, le cheminement vers la lucidité.

Sa plaidoirie devient plaidoyer ; sa confession devient partage de valeurs. Cri et murmure se côtoient. Discours et rap se succèdent. Parole et chant alternent. Texte a été travaillé de façon à passer du simple déballage à une prestation théâtrale.

À son côté, un musicien, Max Charue, dont la présence est là pour accompagner les mots, souligner les ambiances composées par Vincent Cuignet, alléger quelquefois ce que ce monologue aurait de pesant. Ses percussions brutes ont l’efficacité qu’on accorde à ces rythmes incarnés en sons ; son xylophone apporte le mélodique qui poétise, qui invente un environnement à la façon d’un décor sonore.

Sous l’aspect document, c’est un des pans malsains des réseaux sociaux du net qui se dévoile, révèle sa violence incontrôlée avant d’être difficilement contrôlable. Il n’est pas question de donner des leçons mais de démonter un enchaînement de faits qui piège les victimes, qui emporte les bourreaux au-delà de conséquences exponentielles. Et #Vu mérite précisément d’être vu par un maximum de spectateurs car, grâce à sa spécificité de spectacle vivant, il va au-delà du simple témoignage.

Michel Voiturier

Théâtre Episcène Avignon Off 07.07 > 30.07.2022
Dès 13 ans

Interprètes : Elfée Durşen, Max Charue
Mise en scène : Mattias De Paep, Andreas Christou
Scénographie : France Everard
Musique : Vincent Cuignet
Photo : Alice Langerome
Texte original : Mattias De Paep
Traduction, adaptation française : Andreas Christou
Son : Maxime Lombaerts
Régie générale : Ambre Christou, Julie De Baene
Production : Cie des Arts nomades
Prix : Coup de foudre de la presse et prix de la ville de Huy aux Rencontres "Théâtre Jeune Public" de Huy en 2018 ; prix Maeterlinck, meilleur spectacle jeune public 2019
Label : Utilité publique 2020 par la Région Bruxelles-Capitale
© France Evrard

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre » (2006-2021)....

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook