Paris, Théâtre national de Chaillot
Temps de Wajdi Mouawad
Violences familiales
L’argument de Temps était déjà présent dans Incendies et dans Forêts, avec une approche différente. Il est question de secret, de silence ravageur, d’inceste, de temps, du mal. Dans un village minier du Québec au climat rude vit une famille ordinaire. Le père est un malade mental qui a abusé de sa fille dès l’âge de cinq ans. Quand elle l’a appris, la mère s’est immolée par le feu devant sa fille. La petite a sauvé ses frères jumeaux en les abandonnant et, aussitôt franchi le seuil de la maison, elle est devenue sourde. Le père a continué à abuser d’elle jusqu’à sa puberté. Ensuite ça ne l’intéressait plus. La pièce, comme Incendies, est organisée sur le mode de l’enquête. Les questions sont posées par les deux frères que leur sœur a contactés vingt ans plus tard et qui découvrent leurs origines et leur histoire. Mouawad interroge la question de l’inceste et du rapport de la victime à son bourreau, qui est d’autant plus violent qu’il est fait de haine et d’amour filial. Une question liée à celle du temps ("t’en-tends ? temps, temps..." dit la soeur à son frère en détachant les syllabes ). Leurs histoires diffèrent, ils n’ont pas vécu dans le même temps. Et puis il faut du temps pour rompre un secret, attendre que ce soit le moment de la parole libératrice.
On ne retrouve pas la puissance poétique de la langue ni la dimension épique qui avait bouleversé dans la trilogie du Sang des promesses, comme si Wajdi Mouawad n’avait pas dépassé l’argument de départ et ainsi échoué dans sa quête de renouvellement. Néanmoins le texte offre quelques véritables beautés mais sans véritable portée. Les personnages manquent de « l’étoffe qui fait les rêves ». La mise en scène est toute d’arêtes vives et froides. De la lumière au son, tout exprime la violence vécue par cette jeune femme qui, depuis la mort de sa mère, n’entend plus du chant des oiseaux qu’un entrelacs de sons métalliques dénué de toute harmonie. Il y avait là une belle matière théâtrale qui n’a pas trouvé à se développer pleinement dans ce cadre inhabituel. Avec Le Sang des promesses, Wajdi Mouawad avait démontré qu’il était un dramaturge et un metteur en scène d’exception mais ce n’est pas tous les jours qu’on parvient à tutoyer les étoiles.
Temps, texte et mise en scène Wajdi Mouawad. Scénographie Emmanuel Clolus. Costumes Isabelle Lariviere. Lumières Eric Champoux. Musique Michael Jon Fink. Son Jean-Sebastien Cote. Avec Marie-Josee Bastien, Jean-Jacqui Boutet, Veronique Cote, Gerald Gagnon, Linda Laplante, Anne-Marie Olivier, Valeriy Pankov, Isabelle Roy. Au théâtre national de Chaillot jusqu’au 25 mai 2012 à 20h30 . Durée : 1h45. Tel : 01 53 65 30 00
Photo : Vincent Champoux