Tartuffe de Molière
Un Grand manipulateur
Au premier coup d’œil, l’imposant décor de Richard Peduzzi donne le ton de la transposition à l’époque actuelle de l’œuvre de Molière. Une salle de séjour architecturée surmontée d’une galerie, un sol en damier noir et blanc, symbole de la partie d’échec qui va s’engager, où quelques meubles et trophées de chasses croisent des signes de la piété pratiquée par le maître de maison. La famille d’Orgon est réunie pour un déjeuner matinal sans chaleur. Ainsi débute cette version du Tartuffe dans la mise en scène par Luc Bondy, initialement crée à l’Akademietheater, seconde salle du Burgtheater de Vienne en 2013, dans le même décor, mais en langue allemande et en prose. Il s’agit donc d’une recréation avec un retour aux alexandrins. Elle remplace dans la programmation de l’Odéon, Comme il vous plaira de Shakespeare que Patrice Chéreau n’a pu mener à terme, avant sa disparition. A travers les nombreuses mises en scène dont l’Imposteur a fait l’objet, le personnage a connu des éclairages divergents dans sa relation au religieux et à l’hypocrisie. De Planchon à Mnouchkine, Lassalle ou Brunschweig, les exemples ne manquent pas.
Si, le contexte a changé depuis le XVIIème siècle, le fondamentalisme religieux demeure toujours d’actualité et fait débat. Mais, si Bondy n’occulte pas cet aspect, il s’attache davantage à dresser le portrait d’une famille déjà perturbée avant l’arrivée de Tartuffe, qui sert de révélateur, en éclairant les manipulations sans scrupules, dont celui-ci est capable pour servir son ambition sociale. Des situations qui font parfois aujourd’hui l’actualité. Avant un retour final à la normalité. Comment Orgon, homme blessé, mais équilibré et réaliste, peut-il tomber à ce point dans un aveuglement qui le rend dépendant de celui qui l’abuse ? Comment Tartuffe se fera piéger par le désir brûlant qui le porte vers Elmire, seconde femme d’Orgon ? Des questions qui reviennent parmi d’autres durant les cinq actes, placés sous le signe de la comédie.
Un aspect qui n’est pas oublié dans cette représentation qui porte avec légèreté les alexandrins, et bénéficie d’une excellente interprétation apportant des colorations savoureuses aux personnages. Dans les costumes identitaires de Eva Dessecker, et sous les lumières de Dominique Bruguière variant les climats, Gilles Cohen, dans son costume trois pièces, est un Orgon à facettes tant dans sa relation familiale que dans sa fascination ambiguë pour Tartuffe. Françoise Fabian, clouée dans un fauteuil roulant, une Madame Pernelle dévote au caractère bien trempé, Clotilde Hesme, subtile Elmire, à toute la sensualité pour éveiller les sens du faux dévot, et Lorella Cravotta, restitue avec bonheur la franchise insolente de Dorine. “ Et Tartuffe ? ” “ Et Tartuffe ? “ comme s’inquiète Orgon. Mal rasé, cheveux plaqués et grosses lunettes, c’est Micha Lescot qui l’incarne en laissant apparaître dans son corps et sa gestuelle toute la perversion et le cynisme du personnage qui joue avec les fantasmes et les fractures de ceux qui l’entourent.
Tartuffe de Molière, mise en scène Luc Bondy, avec Gilles Cohen, Lorella Cravotta, Léna Dangréaux, Victoire Du Bois, Françoise Fabian, Jean-Marie Frin, Laurent Grévill, Clotilde Hesme, Yannik Landrein, Micha Lescot, Yasmine Nadifi, Fred Ulysse, Pierre Yvon. Décor Richard Peduzzi, costumes Eva Dessecker, lumière Dominique Bruguière, maquillages et coiffures Cécile Kretschmar. (durée 1h50)
Odéon-Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier
jusqu’au 6 juin 2014.
Photo Thierry Depagne