Au Théâtre de Suresnes, au Théâtre de la Cité à Toulouse, au Théâtre de la Ville - Les Abbesses.

Psychodrame, conception et mise en scène de Lisa Guez.

Thérapie et catharsis, théâtre et vérité de soi retrouvée.

Psychodrame, conception et mise en scène de Lisa Guez.

Le psychodrame ou psychothérapie de groupe fait participer les sujets à des scènes où ils jouent des rôles relevant de situations conflictuelles proches de leurs propres conflits : « (…) nous nous livrâmes à de sommaires psychodrames, chaque fois que nous avions à affronter des situations désagréables ou difficiles : nous les transposions, nous les poussions à l’extrême, ou nous les ridiculisions ; nous les explorions en long et en large, et cela nous aidait beaucoup à les dominer. » ( Simone De Beauvoir, La Force de l’âge).

Le théâtre est au coeur de la démarche, une thérapie nécessaire à la catharsis.

Psychodrame de Lisa Guez est issu, comme son bienheureux spectacle Les Femmes de Barbe-Bleue, d’une écriture collective de plateau, où les actrices, tour à tour patientes et médecins, créent des figures conviées à se libérer des terreurs et des monstres intérieurs.

Et les belles personnes solaires du collectif d’actrices, Fernanda Barth, Valentine Bellone, Anne Knosp, Valentine Krasnochok, Nelly Latour et Jordane Soudre incarnent les rôles divers qui leur sont impartis, prenant appui sur le corps et le jeu pour mettre à distance souffrances et blessures, puis s’en émanciper. Le lieu est un centre pour femmes - salle « d’activité » -, où chacune passe d’un rôle à l’autre, soignante puis patiente, soulignant les frontières troubles entre les deux statuts.

Les thérapeutes sont espiègles entre elles, mais rigoureuses dans le travail, et de citer Lacan à tout va, humour et ironie, bonheur de se moquer et de relativiser les regards, sûres de leur mission - engagement physique et moral à secourir les patientes abandonnées à leur malheur - : silence, parole extravertie, « transférée ».

Autant les soignantes semblent libres, épanouies, vives, et aimant leur métier, autant les patientes offrent d’elles-mêmes des silhouettes froissées, choquées, entre passivité, lassitude, et consentement à leur sort plus ou moins signé.

La jeune lycéenne qui s’est meurtrie volontairement face à une camarade trop bavarde et envahissante, ou bien la jeune mère qui se prend pour un serpent, et qui se souvient d’avoir épluché des pommes avec sa grand-mère qui ne lui a jamais parlé de sa propre mère inconnue : la petite-fille va enfin dire ses quatre vérités à l’usurpatrice. Cette autre, étudiante amoureuse d’une amie, n’a reçu que mépris de la part de celle-ci, allant jusqu’à porter plainte pour son empressement dérisoire. Il y a aussi la rebelle affichée, la rétive, qu’on ne saurait jamais dompter..

Et, de l’autre côté de la barrière, cette co-thérapeute psychanalyste, fille de grand médecin, prend plaisir à participer au psychodrame, tout en dépendant de sa propre psychothérapeute et plus profondément de ce père souverain à l’excès.
Les situations sont finalement banales dans leur humanité qui tracent une frontière fictive entre normalité et a-normalité, due à l’intensité des douleurs existentielles.

La médecin-metteuse en scène est assistée par des « joueuses » co-thérapeutes, dramatistes qui décalent les scènes, les mettent en perspective, posent les questions d’un récit réel, imaginé ou inventé. Or, du côté des soignantes, certaines démunies, en viennent à demander de l’aide et du secours, et du coup, les patientes participent de la thérapie de celles-ci, les rôles s’inversant à loisir.

Animal, arbre, objet, meurtre sanglant, idylle impossible, dialogue avec les morts, selon un cadre et des règles, la galerie des rôles est infinie. Théâtre et thérapie, on ne sait plus : les spectateurs pourraient assister à une scène du Papier peint jaune de Charlotte Perkins Gilman où une mère est soignée, séparée de son enfant, ou encore à la situation des artisans jouant Pyrame et Thisbé avec leur mur, dans le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. La preuve que la vie est bien le théâtre du monde, militant d’abord pour l’ouverture à l’autre et à la communauté des êtres.

Pleine de suspens, la représentation tendue s’accomplit avec brio, jusqu’à à son dénouement ludique ; les rôles s’échangent et se croisent sur la scène, de plus en plus frontaux et abrupts, différents et proches. Les comédiennes savent prendre à bras-le-corps cette humanité perdue, dispensant et délivrant les émotions et mouvements de l’âme qui affleurent.

Ivresse du tournoiement scénique - beau théâtre dans le théâtre - pour se re-trouver soi.

Psychodrame, conception et mise en scène Lisa Guez, une écriture collective de Fernanda Barth, Valentine Bellone, Sarah Doukhan, Anne Knosp, Valentine Krasnochok, Nelly Latour, Clara Normand et Jordane Soudre dirigée par Lisa Guez. Avec Fernanda Barth, Valentine Bellone, Anne Knosp, Valentine Krasnochok, Nelly Latour et Jordane Soudre. Collaboration à la mise en scène et à la dramaturgie et costumes Sarah Doukhan, création lumières et scénographie Lila Meynard, réalisation du décor dans les Ateliers de construction du ThéâtredelaCité Michaël Labat, création sonore et musicale Louis-Marie Hippolyte, conseil scientifique Géraldine Rougevin-Baville. Les 14 et 15 novembre, Salle Aéroplane, Théâtre de Suresnes, 16 place de Stalingrad 92150 -Suresnes. Du 26 au 30 novembre 2024 - ThéâtredelaCité - CDN Toulouse Occitanie. Du 3 au 12 décembre 2024, relâche le 8 décembre - Théâtre des Abbesses - Théâtre de la Ville, 75018 - Paris.
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.

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Véronique Hotte

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