Patrice Chéreau Journal de travail tome 2
Apprentissages en Italie
- Publié par
- 14 décembre 2018
- Critiques
- Livres, CD, DVD
- 0
-
Paru au mois de septembre, cet ouvrage est le deuxième d’une série de six volumes consacrés aux notes de travail issues des archives du fonds Patrice Chéreau conservées à l’IMEC. Une série de publications effectuée sous la houlette attentive de Julien Centrès qui, par ses renvois et annotations, nous aide à nous y retrouver dans l’effervescent chemin créateur du metteur en scène. Ainsi, dans cet ouvrage qui couvrent les années 1969-1971 consacré au travail de Chéreau en Italie, prend-il soin de nous en rappeler le contexte. Si enthousiasmante que fut l’expérience du Théâtre de Sartrouville, elle s’acheva sur un fiasco financier qui amena Patrice Chéreau à démissionner. Dans la foulée, il accepte l’invitation de Gabriel Garran et met en scène pour le Théâtre de la Commune d’Aubervilliers Le Prix de la révolte au marché noir et, par là même, signe la fin du duo Vincent-Chéreau. Une autre aventure commence.
Il est sur la paille et endetté, mais sa renommée n’en a pas moins passé les frontières. Tandis que Paolo Grassi l’invite à rejoindre le Piccolo teatro de Milan, il fait, à la demande de Gian Carlo Menotti, un détour par Spolète où il réalise en juillet 69 son premier opéra, L’italienne à Alger de Rossini. Il a 25 ans, est sans feu ni lieu, mais n’entend rien lâcher de ses exigences artistiques, « sans être ruineuses, la mise en scène à laquelle je travaille en ce moment va, bien sûr, coûter de l’argent. Enfin, je travaille toujours avec la même équipe de six personnes pour la partie technique (décors, accessoires, costumes, éclairages) que je compte employer pour le spectacle », écrit-il au directeur du Festival.
Outre L’Italienne à Alger , les notes rassemblées pendant cette période italienne ont affaire avec La Nuit des assassins de José Triana, Henri V et Richard II de Shakespeare, Splendeur et mort de Joaquim Murieta de Pablo Neruda, Toller, scène d’une révolution allemande de Tankred Dorst, La Traviata de Verdi, La Finta Serva de Marivaux, Lulu de Frank Wedekind, Massacre à Paris de Christopher Marlowe, et, ce qui sera son premier film, La Chair de l’orchidée d’après le roman de James Adley Chase .
Ce film sorti en 1975, qui réunissait une brillante distribution, notamment Edwige Feuillère, Simone Signoret, Alida Valli, Bruno Cremer , Roland Bertin, Hugues Quester, fut pour Charlotte Rampling qui tenait le rôle de Claire, la jeune femme qui s’évade d’un asile, une rencontre fondatrice , « Patrice m’a transmis la force d’avancer sans renoncer » écrit-elle dans la préface de l’ouvrage et ajoute, « Patrice Chéreau était un être en mouvement, en vibration, son corps vous parlait comme dans un tremblement, une énergie féroce illuminait son être et ses yeux vous cherchaient en vous pénétrant ».
C’est effectivement un artiste incessamment en mouvement qui se dessine à travers ces notes de travail, comme rédigées à la hâte sur les papiers à en-tête des hôtels qui ponctuaient ses nombreux déplacements. S’y dévoile un créateur constamment sur la brèche et multipliant sans cesse ses fers au feu. C’est ainsi, par exemple, que préparant, en août 70 la reprise en tournée de Splendeur et mort de Joachim Murieta, Patrice Chéreau trace les premières lignes dramaturgiques de « Toller » et note ses premières réflexions à propos de Massacre à Paris qui inaugurera en mai 72, son arrivée aux côtés de Roger Planchon, au TNP Villeurbanne. L’esprit toujours en branle, il nourrit ses créations autant de lectures (Roger Vaillant, Roland Barthes, Louis Althusser) que de cinéma, aussi bien celui de Feuillade que de Visconti, ou de références picturales : « Reprendre l’idée des ruines d’Hubert Robert » note-t-il pour la Finta Serva (La Fausse Suivante) de Marivaux, remarquant plus loin, « la modernité de Marivaux est justement le rôle du fric ».
Jeune homme de son temps, 68 n’est pas si loin, le metteur en scène n’entend pas dissocier l’esthétique du politique, et à propos de Toller s’interpelle littéralement, « Attention, au point où j’en suis maintenant (1970), à ce qu’on voit rarement dans les mises en scène et qui m’emmerde de ne pas voir : la cohérence d’écriture qui n’est pas du tout simplement un problème de forme, une belle esthétique, mais surtout un problème politique. » et plus tard, selon une note de renvoi,il affirmera lors d’une conversation avec Emile Copfermann, « Je crois paradoxalement que le théâtre est l’endroit où l’on peut voir le plus les idées et les idéologies, où les idéologies deviennent concrètes, et je crois donc, inversement que ce qui se voit le plus sur un plateau sont les idées, les abstractions ».
C’est fort justement que dans la préface de cet ouvrage qui ne se lit pas comme un roman, mais s’appréhende par étapes, Charlotte Rampling écrit « un révolutionnaire grondait en lui, son art allait changer le monde et ces notes aujourd’hui me le confirme ».
Patrice Chéreau, Journal de travail (Apprentissages en Italie)
Tome 2 1969-1971 240 pages 25€
Actes Sud Papiers. Collection Le Temps du théâtre, coédition IMEC
(La direction de cette série d’ouvrages est assurée par Julien Centrès, doctorant en histoire au sein d’ISOR (Images, Société & Représentations) du Centre d’d’histoire du XIXe siècle)