Saint-Denis, TGP jusqu’au 25 mars 2012
Paroles gelées d’après François Rabelais
Pétillante odyssée allégorique
Après Tempête sous un crâne, adaptation percutante des Misérables de Victor Hugo l’an passé, la Compagnie Air de Lune, s’attaque à un autre monument de la littérature avec François Rabelais (1494 ? – 1553). En s’inspirant principalement du Quart livre, roman qui succède à Pantagruel, Gargantua et au Tiers livre, publiés entre 1532 et 1552.
Ce récit se concentre sur la navigation aventureuse de Pantagruel et de ses compagnons en route vers l’oracle de la Dive Bouteille, révélatrice de la Vérité, qui trouvera sa conclusion dans le Cinquième livre, publié à titre posthume et dont la paternité reste controversée. Un voyage maritime mouvementé, ponctué d’escales et de rencontres avec des territoires imaginaires. Autant de situations, qui permettre à Rabelais d’aborder dans une écriture prodigieusement inventive et métissée, drôle et vigoureuse, les thématiques et les pensées philosophiques et humanistes que lui inspire le Moyen Age, sous les digressions et la satire.
Dans une langue, pour laquelle Valère Novarina, dans le “Théâtre des paroles”, livre une réflexion sur sa relation avec l’époque actuelle : “ Rabelais entraine très loin, très en arrière, très en avant de notre actuel français littéraire plat, linéaire B, très loin de cette petite langue française guindée de la radio, qui est comme une petite bourgeoise qui s’étrique, un pauvre petit idiome laïc, un espéranto de plus en plus étroit.”. C’est, semble-t-il, en réaction à ce constat que Jean Bellorini et Camille de la Guillonnière, auteurs de cette adaptation, ont orienté leur création théâtrale avec le désir de faire exister le verbe rabelaisien dans la modernité, tout en conservant son esprit, sa verve et ses colorations.
Un pari gagné à travers la globalité d’une réalisation aboutie, qui fait feu de tous bois pour emmener le spectateur dans cette épopée joyeuse et lui faire savourer la virtuosité jubilatoire d’un langage renaissant, en ouvrant sur sa perception et son imaginaire. Sur la scène, principalement occupée par un vaste plan d’eau - accompagnant ce voyage maritime - mouvements légers de machinerie, objets et accessoires inattendus (scénographie de Laurianne Scimemi et Jean Bellorini) créent, dans un esprit artisanal, un univers évocateur en constante mutation. Il est habité par treize comédiens, chanteurs et musiciens talentueux, dont la générosité inventive et malicieuse porte la saveur des mots et jongle avec les forces bouillonnantes et obscures des divers personnages. A travers leurs joutes verbales et physiques, ils réchauffent ces “paroles gelées” quelque part dans un pays glacé, avec une liberté tonique et réjouissante en faisant de Rabelais notre contemporain.
Vu au TGP de Saint Denis au mois de mars 2012, le spectacle est actuellement à l’affiche du Théâtre du Rond-Point du 7 mars au 4avril
© Pologarat
Paroles gelées, d’après François Rabelais, adaptation Jean Bellorini et Camille de la Guillonnière, mise en scène Jean Bellorini, avec Karyll Elgrichi, Gosha Kowalinska, Clara Mayer, Juliette Roudet, Marc Bollengier, François Deblock, Patrice Delattre, Samuel Glaumé, Benjamin Guillard, Camille de la Guillonnière, Jacques Hadjaje, Geoffroy Rondeau, Hugo Sablic. Scénographie Laurianne Scimemi et Jean Bellorini, costumes Laurianne Scimemi, lumière Jean Bellorini, son Joan Cambon. Durée 2 h 15.
Théâtre du Rond-Point jusqu’au 4 avril