Paris-Théâtre de la colline jusqu’au 6 février 2009

Minetti de Thomas Bernhard

Dernier combat

Minetti de Thomas Bernhard

André Engel avait mis 14 ans pour décider Michel Piccoli à jouer Le Roi Lear et voici comme un écho, une sorte d’épilogue à cette aventure. Piccoli interprète un vieil acteur autrefois célèbre qui ne joue plus que devant son miroir depuis 30 ans, et toujours le même rôle de Lear. C’est d’ailleurs pour jouer à nouveau cette pièce que le directeur du théâtre d’Ostende l’a fait venir, enfin à ce qu’il dit. Il prétend l’attendre dans le hall de l’hôtel où il est entré chargé d’une énorme valise qui contient son masque de Lear, toute son âme, peint par le peintre James Ensor. Durant cette nuit de la Saint Sylvestre, dans cet hôtel sinistre aux couleurs ternes, l’acteur s’adresse aux rares personnes rencontrées, une pauvre femme solitaire qui compte finir la nuit ivre, un masque de singe sur le visage (Evelyne Didi), ou bien une gracieuse jeune fille qui attend son fiancé (Julie-Marie Parmentier, qui était Cordelia, la fille de Lear, dans la mise en scène d’Engel) ; de temps à autre une bande de fêtards éméchés traverse le hall.

Jeux de miroir

La pièce est un hommage de l’auteur à Bernhard Minetti pour lequel il l’a écrite en 1976 et qui était son acteur favori. Il y est bien sûr question de l’art et du théâtre en particulier, de la monstruosité du métier de comédien et de son incommensurable solitude. Quel espace pour exister au-delà du masque qui lui colle à la peau ? Minetti a été chassé de Lubeck à cause de son comportement excessif, de son aversion pour le théâtre classique, obsession qu’il ressasse jusqu’à la nausée. Mais il y est aussi question d’un homme à la dernière page de sa vie. A l’inverse de Michel Bouquet qui, dans la mise en scène de Claudia Stavisky (2003), opposait magnifiquement à l’adversité toute la résistance de son orgueil jusqu’à la folie, Piccoli, conscient de la mise en abyme émouvante de l’acteur déjà âgé jouant le vieil acteur, est touchant de fragilité dans cet abandon du corps qui n’en peut plus de trop de souffrances. Habité par la force d’une révolte intérieure qui ne s’éteindra qu’à son dernier souffle, il semble tenir par la puissance du discours qu’il délivre d’une voix de verre, brisée, étouffée comme si les mots s’échappaient malgré lui, courant le risque d’un ton monocorde. La logorrhée verbale et le ressassement sont à l’œuvre, comme toujours chez Bernhard mais peut-être davantage ici car c’est par cette effusion inextinguible, et pourtant au bord de l’extinction, qu’il trouve un semblant d’existence à ses propres yeux.
Thomas Bernhard fait mourir Minetti, son masque de Lear sur le visage mais Engel a préféré une fin plus métaphorique. La lumière s’éteint sur l’image de Piccoli, assis sur sa valise, dos au public, l’acteur Minetti déjà absent à lui-même.

Minetti de Thomas Bernhard, mise en scène André Engel, avec Evelyne Didi, Gilles Kneusé, Arnaud Lechien, Julie-Marie Parmentier, Michel Piccoli au théâtre de la Colline du mercredi au samedi à 20h30, mardi 19h30, dimanche 15h30. Tel :01 44 62 52 52. Durée : 1H20.
www.colline.fr

Tournée
11 au 14 février, Comédie de Reims
18 au 28 mars, TNP de Villeurbanne
31 mars au 4 avril, MC2 Grenoble
8 au 18 avril , Théâtre du Nord à Lille
28 avril au 7 mai, TNT Toulouse

Copyright
Photo Richard Schroeder
Contour by Getty Images

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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