Paris, Odéon-théâtre de l’Europe, jusqu’au 14 avril 2012

Mesure pour mesure de William Shakespeare

Ostermeier se mesure à Shakespeare

Mesure pour mesure de William Shakespeare

Homme intègre mais faible,Vincentio, duc de Vienne (Gert Voss), n’a pas réussi à juguler la débauche qui s’est emparée de la ville. Dans une ultime tentative qui est aussi une mise à l’épreuve, il décide de faire mine de partir en voyage et de confier à Angelo (Lars Eidinger), dont la réputation est sans taches, la mission de relever Vienne de la décadence. Mais, sitôt au pouvoir, Angelo fait régner la terreur jusqu’au moment où il pousse trop loin son avantage en condamnant à mort un pauvre bougre pour avoir eu des relations sexuelles avant le mariage. Sa sœur (Jenny König), une ravissante novice, vient demander sa grâce parée de sa blanche innocence et d’arguments convaincants. La rigueur morale tombe le voile et le vice triomphe. Le très peu séraphique Angelo propose à la douce servante de Dieu de gracier son frère à condition qu’elle lui offre sa virginité. Heureusement, le duc, homme sage doué de discernement, qui avait observé les événements dissimulé sous une bure de moine, réapparaît pour confondre Angelo, croit-on. Or, étrangement, retournant la peau de la tragédie, Shakespeare concocte une curieuse fin heureuse, quelque peu provocante.

Thomas Ostermeier s’intéresse plus à l’ambiguïté des personnages et à la violence de leurs relations qu’aux dérives du pouvoir et à la folie qu’il engendre. Accordés à cette démarche, les comédiens de la Schaubühne de Berlin, tous excellents, occupent l’espace avec une présence individuelle et collective d’une grande densité, même en retrait de l’action, pourtant toujours entre ombre et lumière. Angelo veule et pervers à souhait dans son costume noir étriqué, semble s’effarer lui-même de la violence noire de ses pulsions ; le bouffon, pipelette calomnieuse et immorale est le digne représentant d’une société abandonnée à ses turpitudes. Tout se passe entre les hauts murs d’un bain public, conçu par Jan Pappelbaum comme un écho des thermes romains et de ses excès. Angelo « kärchérise » les murs d’un or sale pour en effacer les graffitis obscènes, quand il n’envoie pas des jets à haute pression dans la figure de ses sujets. Pour faire bonne mesure avec les relents nauséabonds de la pièce, un ensemble vocal nous enchante de douces mélodies du XVIIe siècle mais cela ne nous fait oublier que le pouvoir corrompt et qu’en tout homme sommeille un cochon, comme en témoigne la carcasse qui fait le cochon pendu. Thomas Ostermeier signe une mise en scène audacieuse et brillante dont les qualités jouent pourtant curieusement au détriment du spectacle, peut-être parce que la collision entre trivialité et poésie tourne au parti pris systématique, tout admirablement maîtrisé soit-il.

Mass für Mass de William Shakespeare. Traduction : Marius von Mayenburg ; décor : Jan Pappelbaum ; costumes : Ulrike Gutbrod ; lumière : Urs Schönebaum ; musique : Nils Ostendorf. Avec Bernardo Arias Porras, Lars Eidinger, Franz Hartwig, Jenny König, Erhard Marggraf, Stefan Stern, Gert Voss. Chant : Carolina Riaño Gómez ; trompette : Nils Ostendorf ; guitare : Kim Efert. A l’Odéon-théâtre de l’Europe jusqu’au 14 avril, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h. Durée : 2h. Rés. 01 44 85 40 40. En allemand surtitrés.

www.theatre_odeon.fr

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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