Paris, théâtre de la Bastille jusqu’au 1er juillet 2011

Loin d’eux de Laurent Mauvignier

un monde de taiseux

Loin d'eux de Laurent Mauvignier

Porter des textes littéraires à la scène est une entreprise périlleuse. On en a une preuve actuellement avec la mise en espace du magnifique roman de Russel Banks, De beaux lendemains, qui, malgré le talent de grands acteurs, ne parvient pas à restituer tout ce qui fait la beauté et la force du livre. Pas très convaincante non plus, la proposition des Possédés avec Planète du russe Evguéni Grichkochevts. Mais cette fois, c’est le texte qui tombe à plat ; exception faite de quelques fugitives percées, il n’a pas le mordant de Comment j’ai mangé du chien, interprété par l’auteur lui-même.

A l’inverse, Rodolphe Dana, du même collectif Les Possédés, a véritablement rencontré l’écriture de Laurent Mauvignier dont il restitue toute la singularité du point de vue et du style avec une belle fidélité. Dans ce premier roman percutant, Mauvignier a choisi le principe de la narration multiple pour tisser un récit kaléidoscopique autour de la figure de Luc qui entremêle les voix des proches, du père, de la mère, du frère, etc. et de Luc lui-même. Une famille frustre où la parole ne circule pas et dans laquelle Luc étouffe de ce silence pesant. Il mourra de ce défaut de communication comme une plante meurt par manque d’irrigation. Et personne n’a rien vu venir, évidemment. Le problème de chacun c’est de ne pas savoir regarder l’autre ; tout le monde aime Luc mais personne ne le lui dit, ne le connaît ni ne le comprend.

Seul en scène, sans autre accessoire qu’une chaise, Rodolphe Dana se fait conteur et un peu plus que cela ; il endosse les voix de chacun pour dresser le portrait en creux de Luc, avec une sobriété et une tension à la mesure de l’écriture de Mauvignier, économe, dense, sans fioriture, exacte. A entendre le texte ainsi résonner, on pense à la parenté avec Jean-Luc Lagarce et on ne s’étonne plus que Rodolphe Dana, familier de l’œuvre du dramaturge, ait eu envie de faire entendre la langue de Mauvignier, drue et pudique, pétrie de douleur contenue. Luc c’est un peu Louis de Juste la fin du monde. Le rapprochement entre ces deux univers très proches par la sensibilité et le point de vue sur les relations familiales interroge la frontière entre roman et théâtre.

Loin d’eux de Laurent Mauvignier, mise en scène Rodolphe Dana et David Clavel, avec Rodolphe Dana, collectif Les possédés au théâtre de la Bastille à 21h jusqu’au 1er juillet. durée : 1 heure.

Tel : 01 43 57 42 14.
accueil@theatre-bastille.com

Loin d’eux est édité aux éditions de Minuit

© Anne Baugé

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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