Aubervilliers, théâtre de la commune jusqu’au 4 avril 2010

Les Fausses confidences de Marivaux

Un Marivaux d’une grâce absolue

Les Fausses confidences de Marivaux

On ne finit pas de s’étonner de la modernité des pièces de Marivaux ni de la beauté de cette langue à la fois savoureuse et raffinée, d’autant plus lorsqu’elle tombe entre les mains d’un orfèvre. Didier Bezace, qui connaît bien Les Fausses confidences pour l’avoir interprétée, en livre une lecture crue dans un écrin d’élégance au cœur duquel Anouk Grinberg brûle d’un feu intérieur bouleversant. Elle est Araminte, une jeune veuve que sa mère veut marier à un vieux comte (Jean-Yves Chatelais) du voisinage pour régler un litige concernant des terrains. L’affaire se serait certainement faite par raison si le jeune Dorante (Robert Plagnol), n’avait été jeté dans le jeu par Dubois (Pierre Arditti), valet d’Araminte, qui a juré que la belle tomberait amoureuse de son intendant sans le sou mais ivre de passion pour elle. Les ingrédients favoris de Marivaux sont ici réunis, l’argent et son pouvoir, le travestissement et le masque du mensonge, le jeu cruel de la manipulation. La mise en scène s’amuse de la convention avec les délicates toiles peintes des décors de Jean Haas qui se mettent en place à vue, avec la complicité de la « servante », cette petite ampoule qui veille sur le théâtre quand les acteurs n’y sont pas. Les trappes avalent les acteurs ou les régurgitent, dissimulant dans le ventre de la scène le deus ex machina de la comédie, Dubois en l’occurrence, et toutes les machineries.

Anouk Grinberg, équilibriste bouleversante sur le fil ténu de l’émotion

La frontière est clairement tracée entre deux mondes définitivement étrangers l’un à l’autre : la classe possédante, ridicule et bornée, représentée par la mère (irrésistible Isabelle Sadoyan), le comte, monsieur Rémi (Christian Bouillette), postillonnant et parlant haut, et le chien, affublé d’un nœud plus grand que lui et qui leur ressemble bien ; en costume d’époque, poudrés et perruqués, ils tranchent avec la sobriété de la tenue vestimentaire et sociale des autres personnages. Le contraste nourrit l’esprit de comédie, incarné entre autres par les pitreries d’Arlequin (Alexandre Aubry), mais l’enjeu est grave. Comme souvent chez Marivaux, c’est un valet, Dubois, qui tire les ficelles. Pierre Arditi nous régale de ses manigances, de son air matois de Raminagrobis, de sa jubilation diabolique à prendre Araminte dans les filets de l’amour de Dorante. Car ce n’est pas gagné, la belle a du bien et le jeune blanc-bec point du tout. C’est merveille que de voir d’un côté le futé valet jouir de ses rusés stratagèmes et Araminte se laisser gagner, à son cœur défendant, par la pureté du cœur de Dorante, acceptant la mésalliance qui l’exclut de son milieu. Tragédienne dans l’âme, Anouk Grinberg laisse deviner le combat intérieur qu’elle livre contre ce penchant naissant dès lors qu’elle le pressent. Le frémissement du corps, le léger tremblement de la voix sont à peine perceptibles et pourtant on devine la violence intérieure du dilemme, mais comme on n’est pas chez Racine, c’est l’amour qui triomphera, vouant aux gémonies la bienséance dans une scène d’aveu jouée tout en retenue. Enfin La malice de Dubois ne s’embarrassant pas de détails, son plan réussira au prix de quelques dégâts collatéraux ; la jeune et pétillante servante Marton (Marie Vialle), qui croyait en l’amour de Dorante n’aura plus que ses yeux pour pleurer. Bezace ne manquera pas de souligner cette cruauté-là, à l’instar de l’esprit rageur de Marivaux dont le marivaudage est tout sauf innocent et candide. La mise en scène de Didier Bezace, expression accomplie de l’esprit de finesse, tisse un réseau dense de signes qui se révèle une eau limpide parcourue de mille miroitements.

Les Fausses confidences de Marivaux, mise en scène Didier Bezace ; avec Pierre Arditi, Alexandre Aubry, Christian Bouillette, Jean-Yves Chatelais, Anouk Grinberg, Robert Plagnol, Isabelle Sadoyan et Marie Vialle. Scénographie Jean Haas ; lumières Dominique Fortin ; costumes Cidalia Da Costa. Au théâtre de la Commune d’Aubervilliers, les mardi et jeudi à 19h30, mercredi, vendredi et samedi à 20h30 et dimanche à 16h Durée : 2 heures.

© Brigitte Enguérand

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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