Le Pavé dans la Marne de et avec Jean-Paul Farré

Le rire aux larmes

Le Pavé dans la Marne de et avec Jean-Paul Farré

Doit-on encore présenter Jean-Paul Farré, artiste aux multiples facettes, dont le parcours se ponctue de désopilantes et poétiques loufoqueries musicales qui ont contribué à forger sa réputation de ludion de la scène. Une scène qu’il ne cesse d’arpenter en navigateur solitaire aussi bien qu’en équipe. Voltaire matois et persifleur incisif dans Voltaire Rousseau au Poche Montparnasse la saison dernière, ex-ténor braillard et pathétique dans Fratelli de Dorine Hollier cet été en Off Avignon, voici en cet automne, notre « clown comédien » - comme il aime à se définir – sur les planches du Lucernaire pour une traversée de son cru sur la houle…sanglante de l’Histoire.
Musicien accompli, comédien truculent, le voici maintenant historien émérite, apportant sa très savante et décoiffante contribution aux multiples commémorations de la Grande Guerre, celle que préférait Georges Brassens, celle qui fit éditer des billets de loterie nationale pour les Gueules cassées. Celle enfin que revisite Jean-Paul Farré lançant d’emblée son Pavé dans la Marne en même temps que dans la mare de nos certitudes historiques. « Non affirme-t-il, le miracle de la Marne n’a pas eu lieu et la France fut défaite dès septembre 1914 ».
Un postulat irrévérencieux pour ne pas dire franchement iconoclaste, mais qui a le mérite de réduire la guerre à 47 jours et le nombre des morts à 140.000, ce qui est déjà trop, mais beaucoup moins que les 1.396.000 qu’elle a coûté en 1562 jours de conflit. Les statistiques peuvent bien être « la forme la plus élaborée du mensonge », les chiffes, pour Farré qui fait la guerre à la guerre, sont autant de fusées d’alarme expédiées de l’horreur des tranchées.

De l’hippodrome de Longchamp où le 28 juin 1914 le Président Poincaré apprit l’assassinat de l’Archiduc François- Ferdinand à Sarajevo, à la clairière de Rothondes , en passant par l’escapade du Gouvernement à Bordeaux, imaginant un désopilant dialogue entre un chauffeur de taxi et des troufions en route pour les bords de Marne, de faits réels en anecdotes revisitées, Jean-Paul Farré dynamite nos références et sème le doute. Monsieur Loyal d’un tragique cirque historique, il épingle en toute cocasserie quelques incuries politiques et militaires, les imbéciles convictions va-t-en-guerre des fonctionnaires polyglottes des capitales européennes, l’absurde effet dominos du jeu des alliances qui ont présidé à la grande tuerie que fut la première guerre mondiale. Et l’on se prend à frémir en pensant à quelques-uns de nos modernes dirigeants internationaux, rouleurs de mécaniques dont l’orgueil surdimensionné les rend susceptibles de pousser trop loin le bouchon de leurs déclarations incendiaires.
Dans un espace scénique qui évoque la précarité et la mobilité d’un théâtre de tréteaux, heureusement dirigé et mis en scène par un Ivan Morane, inventif et inspiré, délicatement accompagné de la violoniste Muriel Reynaud, dont la présence, au-delà du clin d’œil délibéré à « L’Histoire du Soldat », évoque les diverses figures de femmes pendant la guerre, Jean-Paul Farré tout à la fois conférencier Nimbus appuyant sa démonstration de cartes et de graphiques, comédien d’un théâtre aux armées, marionnettiste montreur d’ombres, fait de son Pavé dans la Marne une vigoureuse plaidoirie pacifiste doublée d’un bouleversant hommage à tous ceux-là morts inutilement au champ d’honneur. Insensiblement, de l’Histoire à l’intime, le clown comédien évoquant la balle qui faucha son grand-père sur le front d’Artois en 1915, passe de la fantaisie débridée à la gravité et nous, à sa suite, de l’éclat de rire à l’émotion.
Si vous voulez tout savoir sur la mal nommée Der des Ders, courez au Lucernaire, c’est bien mieux qu’un documentaire à la télé !

Le Pavé dans la Marne de et avec Jean-Paul Farré, violon Muriel Reynaud, mise en scène Ivan Morane durée 1h15

Théâtre du Lucernaire 18h30 jusqu’au 3 décembre tel 01 45 44 57 34

Photos ©www.pallage.com

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

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