Paris-Théâtre de la colline jusqu’au 10 mai 2009

La cerisaie d’Anton Tchekhov

Un bel exercice de fidélité

La cerisaie d'Anton Tchekhov

Criblés de dettes, Lioubov et son frère Gaev sont contraints de vendre la maison familiale, incapables d’entendre les conseils réalistes prodigués par Lopakhine (Jérôme Kircher inattendu dans ce rôle de moujik dont il arrive à rendre la brutalité touchante), un propriétaire terrain pragmatique qui finira par racheter la propriété, accomplissant ainsi son ascension sociale sur les décombres du monde d’hier. Lui a compris que les temps ont changé. Pour sauver le domaine, il faut lotir et louer les parcelles à cette nouvelle catégorie de citadins qui rêvent de week end à la campagne. Mais pour Lioubov et Gaev ces murs c’est toute leur vie, leur enfance, leur histoire dont ils ne parviennent à faire le deuil comme le font tous les adultes. Ce sont de grands enfants démunis devant la réalité de la vie et chacun reconnaît en eux les combats personnels qu’il faut mener pour accepter l’inacceptable. Le couple formé par Dominique Valadié et Didier Sandre est très touchant, malgré un jeu parfois un peu maniéré. La vitalité étourdissante de Dominique Valadié, toujours à mi-chemin entre rire et larmes, est le signe d’une fuite en avant du personnage qui contraste avec la fatigue élégante de Didier Sandre qui a le désespoir puéril et aristocratique.

Merveilleux Jean-Paul Roussillon

On a souvent dit que dans La Cerisaie le personnage principal est la maison dont la vente tourneboule la famille et joue le rôle du révélateur en photographie. Dans la mise en scène d’Alain Françon, elle occupe bien sûr une place centrale, mais qu’elle partage avec le personnage le plus mineur, en apparence, de la pièce, Firs, le vieux majordome qui materne en bougonnant Gaev, interprété par le grand Jean-Paul Roussillon qui a choisi, avec ce rôle, de dire adieu au public d’une bien belle manière. Tandis que tous s’agitent, rient et dansent, s’inquiètent et pleurent alentour, on n’a d’yeux que pour le vieil homme qui traverse la scène de cour à jardin, à pas menus, courbé par les ans sur sa canne dans une lenteur qui dit le passage inexorable du temps, la mort à l’œuvre, jusqu’à la scène finale. Laissé seul dans la maison désertée, oublié de tous, il s’étend avec peine sur le canapé et dit, tranquillement comme une constatation dénuée de tout affect : « La vie, elle a passé. On a comme pas vécu », tandis qu’on entend les coups de hache assourdis qui abattent les cerisiers. La pièce ainsi atteignant à l’universel, la maison devenu métaphore de l’inexorable fuite du temps. C’est la dernière œuvre, peut-être la plus achevée, écrite par un Tchekhov qui se savait malade.
Comme lors de sa première mise en scène de la pièce, Alain Françon, s’est inspiré de la scénographie originale de Constantin Stanislavski pour sa mise en scène de la pièce en 1904, année de la mort de Tchekhov. C’est un beau spectacle, mais dont on n’entend pas toujours assez le cœur palpiter. Une polyphonie d’une esthétique résolument classique magnifiquement interprétée par une troupe de dix-huit comédiens formidables. Un bel exercice de fidélité pour la dernière mise en scène du directeur du théâtre de la colline qui en a présidé la destinée pendant douze ans, attaché à faire découvrir des auteurs contemporains de grande valeur d’Edward Bond à Daniel Danis, en passant par Michel Vinaver.

La Cerisaie d’Anton Tchekhov, mise en scène Alain Françon, traduction Françoise Morvan et André Markowicz, dramaturgie Michel Vittoz, scénographie Jacques Gabel, lumière Joël Hourbeigt, musique Marie-Jeanne Séréro, Son, Daniel Deshays, costumes Patrick Cauchetier. Avec Clément Bresson, Thomas Condemine, Irina Dalle, Noémie Develay-Ressiguier, Philippe Duquesne, Pierre-Félix Gravière, Jérôme Kircher, Guillaume Levêque, Agathe Lhuillier, Julie Pilod, Sébastien Pouderoux, Jean-Paul Roussillon, Didier Sandre, Dominique Valadié, Adèle Chaniolleau, Frédéric Lopez, Gilles Trinques, Patricia Varney, Zimuth et Floriane Bonanni (violon). Au théâtre de la colline jusqu’au 10 mai, du mercredi au samedi à 20h30, mardi 19h30, dimanche 15h30. Tel : 01 44 62 52 52. Durée : 2 heures

www.colline.fr

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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