Bobigny - MC 93 jusqu’au 2 février 2010
La Noce de Bertolt Brecht
La petite bourgeoisie dans ses meubles
Lorsque il écrit cette pièce en 1919, Brecht est âgé de vingt et un ans. Une œuvre de jeunesse donc, porteuse des prémices de son théâtre épique et didactique, mais surtout une comédie de mœurs aux allures de farce, pour peindre une classe sociale précise dans l’Allemagne vaincue de l’après guerre 1914 – 1918, confrontée à l’inflation et au chômage. Elle passe en revue la palette des comportements et des convenances de citoyens ordinaires issus de la petite bourgeoisie, plus précisément associée au titre lors sa première publication en 1926 (La Noce chez les petits-bourgeois). Conflits familiaux et de générations, tensions et incohérences, futilités et inconsciences, rapports de couple, sexualité, égoïsme, sont ainsi passés au crible par Brecht avec un humour caustique. Tout se présente bien pourtant pour ce repas de noce dans l’appartement des jeunes mariés, dont l’époux a réalisé de ses mains l’ensemble du mobilier. Une manière d’affirmer sa débrouillardise pour sortir de la crise. Le couple est entouré du père radoteur et égrillard de la mariée, de sa jeune sœur dont les sens s’éveillent, d’une amie et de son mari meurtris par la vie conjugale, de la mère envahissante du marié et de deux amis de celui-ci. Si, à l’amorce des agapes, chacun s’efforce de maintenir les apparences nécessaires au bon déroulement d’une soirée festive et conviviale autour d’un plat de cabillaud et de desserts arrosés plus que de raison, les tonalités changent vite pour livrer sans fard et jusqu’au paroxysme la véritable nature des protagonistes. Au rythme de la dislocation ou du bris des meubles du bricoleur occasionnel, les révélations vont bon train – y compris celle de la maternité déjà en route de la mariée – et provoquent affrontements et perfidies au sein d’un milieu social en mesure de s’autodétruire par son aveuglement et son absence de convictions. La pièce passe ainsi de situations vraisemblables au cauchemar inquiétant articulé par une mécanique comique implacable. Pour cette nouvelle version – dans une traduction de Magali Rigaill – la mise en scène de Patrick Pineau s’attache à en révéler les ressorts et les tonalités en laissant libre cours à l’ironie acerbe de Brecht, sans appuyer la démonstration critique du microcosme social qui demeure pourtant très présente. Dans la blancheur du décor métaphorique de Sylvie Orcier, dont l’esthétique et la déconstruction jouent un rôle actif et signifiant, les neuf comédiens portent chacun à leur manière à travers leur gestuelle – parfois stylisée – et leur vitalité cocasse les traces d’un monde cynique et terrifiant. Mais ils se situent surtout dans la logique de l’auteur qui déclarait : “Un théâtre où on ne rit pas est un théâtre dont on doit rire.”
La Noce de Bertolt Brecht, traduction Magali Rigaill, mise en scène Patrick Pineau, avec Nicolas Bonnefoy, Hervé Briaux, David Bursztein (du 9 au 26 janvier), Laurent Manzoni (du 29 janvier au 2 février) Laurence Cordier, Anne Fischer (du 9 au 19 janvier), Annie Perret (du 22 janvier au 2 février), Aline Le Berre, Babacar N’Baye Fall, Sylvie Orcier, Régis Royer. Scénographie Sylvie Orcier, musique Jean-Philippe François, costumes Charlotte Merlin, Sylvie Orcier. Durée : 1 h 10. MC 93 Bobigny du 9 janvier au 2 février 2010. Théâtre des Celestins – Lyon du 4 au 13 février 2010.