L’Un de nous deux de Jean-Noël Jeanneney
Otages du pouvoir hitlérien
Quelque part en Allemagne, non loin de Buchenwald, deux hommes politiques se côtoient dans une maison transformée en prison. La maison, confortable, pourrait passer pour une prison dorée. Mais nous sommes en 1944. Les deux prisonniers ont été envoyés par le maréchal Pétain et sont gardés comme otages. Ce sont Léon Blum, le président du Conseil d’avant la guerre, et Georges Mandel, ministre de l’Intérieur jusqu’au début de 1940. Tous deux sont juifs et ont été les figures de l’anti-nazisme en France. Mais ils sont fort différents, le premier a incarné la gauche d’après-Jaurès, le second, de droite, a été partisan d’une manière forte façon Clemenceau. Immobilisés, ils ne sont pas faits pour s’entendre ; ils n’ont plus qu’à discuter, qu’à tenter de survivre, jusqu’à ce que tombe la décision des nazis : en représailles à un attentat, l’un d’eux doit être abattu. Mais lequel choisiront les bourreaux ?
Jean-Noël Jeanneney télescope dans la durée d’une journée et demie le face à face entre les deux hommes. Leur dialogue est un bel échange appuyé sur la réalité historique, un peu rhétorique toutefois. La mise en scène de Jean-Claude Idée l’orchestre habilement comme un combat des idées qui devient de plus en plus humain. Elle utilise parfaitement la vidéo en arrière-plan. Emmanuel Dechartre est un Léon Blum tout à fait convaincant, nuancé et touchant derrière l’attitude opiniâtre : il donne à voir là l’art d’être un homme politique en ce temps-là, courtois, pugnace et littéraire. En Georges Mandel, Christophe Barbier ne peut déployer la même richesse de jeu et reste sur une seule ligne, dans un jeu frontal qui rend le personnage trop univoque. Il passe en force. Dans le petit rôle du gardien allemand, Simon Williame joue à l’abri des caricatures. Au chapitre des grands moments historiques réinventés pour le théâtre (il y en a beaucoup depuis Le Souper de Brisville), cette fiction et son incarnation sont de bonne composition.
L’Un de nous deux, Mandel / Blum de Jean-Noël Jeanneney, mise en scène, décor et lumières de Jean-Claude Idée, costumes de Sonia Bosc, avec Christophe Barbier, Emmanuel Dechartre, Simon Williame.
Petit Montparnasse, 19 h, tél. 01 43 22 77 74. (Durée : 1 h 20).
Photo J. Stey.