Paris – La Péniche Opéra jusqu’au 27 mars 2011

L’Ivrogne Corrigé ou le Mariage du Diable de Christoph Willibald Gluck

Au bonheur des poivrots, en musique et en rires

L'Ivrogne Corrigé ou le Mariage du Diable de Christoph Willibald Gluck

Deux poivrots déguisés en poupées gonflables, un mariage forcé esquivé par de feintes diableries, une musique qui fait tanguer, du rythme, des couleurs, des chanteurs-acteurs en délire contrôlé : L’Ivrogne corrigé ou le Mariage du Diable de Christoph Willibald Gluck vient d’être sacré objet comique certifié à bord de la Péniche Opéra.

Pratiquer l’art de l’opéra dans l’espace étroit et longiligne d’un chaland relève d’une rêverie que Mireille Larroche transforme en réalité depuis une vingtaine d’années. A bord de sa péniche amarrée quai de Loire sur le canal Saint Martin quand elle ne sillonne pas les rivières de France, les opéras connaissent un sort insolite qui fascine par sa structure réaménagée et son étrange proximité avec le public. Des perles rares signées Gounod, Donizetti, Kagel pour ne citer que les plus récentes y ont connu des destinées insolentes doublées de franc succès.

Christoph Willibald Gluck qui vient d’y jeter l’ancre s’inscrit dans la lignée de ces pertinents-impertinents détournements d’espaces. Gluck (1714-1787), auteur d’une cinquantaine d’œuvres lyriques ne se cantonna pas dans le genre sérieux qui fit sa gloire (Orphée et Eurydice, Iphigénie en Aulide et en Tauride, Alceste, Armide, etc…) mais, comme beaucoup de ses contemporains, il s’aventurait ça et là sur les sentiers des farces et attrapes musicales des opéras comiques où les dialogues parlés alternent avec les arias chantées. La Fausse Esclave, le Diable à Quatre, la Rencontre Imprévue assuraient au public des moments de franche détente, tout comme cet Ivrogne Corrigé (1760) dont les débordements éthyliques brouillent les sens et le bon sens.

Imbibés du matin au soir et du soir au matin

« L’Ivrogne et sa Femme », une fable de Jean de la Fontaine en souffla le sujet à Gluck et à son librettiste Louis Anseaume. « Chacun a son défaut, où toujours il revient – Honte, ni peur y remédie ». Mathurin et son pote Lucas sont deux poivrots imbibés du matin au soir et du soir au matin. Dans leur hébétude chancelante, le premier promet au deuxième sa nièce en mariage. Laquelle évidemment en pince pour un autre, sobre, joli garçon et de situation profitable : il est contrôleur fiscal ! Avec la complicité de Mathurine, femme de Mathurin, le trio va imaginer un stratagème pimenté de diablerie pour venir à bout des pochards récalcitrants.

Via Frédérique Chauvet et son BarokOpera d’Amsterdam, les Pays-Bas se sont alliés à la France pour produire et monter ce Gluck inattendu. Chef d’orchestre et virtuose de la flûte traversière, lauréate de nombreux prix, familière des musiques de la Renaissance et du baroque, elle a, pour ce détour dans l’univers comique, injecté à la partition d’origine quelques tubes de musique populaire. C’était pratique courante autrefois, elle l’a rajeunie avec des chansons d’aujourd’hui sur des textes d’hier. Et que valsent le Port d’Amsterdam de Jacques Brel, la Vie en rose chère à Edith Piaf, Amstrong de Nougaro ou encore le Blues du Businessman tiré de Starmania ! Qui tous s’insèrent avec naturel et humour dans le tourbillon burlesque, mélange des temps et des espaces de la partition d’origine. Frédérique Chauvet l’a réorchestrée pour trois instruments : pianoforte (par Clotilde Verwaerde), basson (le facétieux Alexandre Salles) et elle-même armée de son inséparable flûte. Le tout en accord burlesque avec la mise en scène d’Alain Patiès qui, en habitué de la Péniche, sait comment en tirer le meilleur parti.

Jouer, chanter, bouffonner

Des portes qui claquent et qui s’abattent découvrant des décors, bar, salon cuisine (Laure Satgé) des costumes hilarants moulés sur des silhouettes gonflées façon Botero ou bonhomme Michelin où les mollets sont des jambons et les ventres des outres à huile. Ils jouent, ils chantent, ils bouffonnent : Paul-Alexandre Dubois, baryton rompu à tous les répertoires du baroque au contemporain pointu fait la paire de pochtrons avec le jeune ténor Artavazd Sargsyan en Mathurin et Lucas, Edwige Bourdy figure familière des Shadocks, l’heureuse fortune de la Péniche, a endossé in extrémis les bourrelets de Mathurine et lui prête en version clown son beau timbre de soprano, sa verve et son jeu déjanté, Guillaume Andrieux fait le joli cœur tandis qu’Estelle Béréau, blondinette délicieuse, écouteurs vissés aux oreilles, yeux et doigts scotchés sur son i-phone, joue les ados rappeuses avec une évidence confondante.

L’Ivrogne corrigé ou Le Mariage du Diable de Christoph Willibald Gluck, livret Louis Anseaume. Frédérique Chauvet, conception et direction musicale, Alain Patiès mise en scène, scénographie Laure Satgé, costumes Gabrielle Tromelin. Avec Artavazd Sargsyan, Paul-Alexandre Dubois, Guillaume Andrieux, Estelle Béréau, Edwige Bourdy en alternance avec Gersende Florens.
En coproduction avec le BarokOpera d’Amsterdam.

La Péniche Opéra, les 11, 12, 18, 19, 24, 25, 26 mars à 20h30, les 13, 20, 27 mars à 16h.

01 53 35 07 77 – www.penicheopera.com

En tournée en juillet 2011 dans le cadre des opéras d’été de Bretagne et aux Pays Bas en automne 2011.

Crédit photo : Jean-Charles Pasquier

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

Voir la fiche complète de l'auteur

1 Message

  • L’Ivrogne Corrigé ou le Mariage du Diable de Christoph Willibald Gluck 16 mars 2011 11:09, par Naik Nochez

    Merci pour cette critique vive et détaillée, qui donne envie d’aller voir ce spectacle, et merci de donner le nom des musiciens, ce que ne font pas tous vos collègues. On aimerait bien écouter ce "facétieux" bassoniste !
    Bien à vous,
    NN

    Répondre au message

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook