Paris - Le Tarmac jusqu’au 31 octobre 2009

L’Affiche de Philippe Ducros

Dénonciation virulente

L'Affiche de Philippe Ducros

Le Québécois Philippe Ducros est un artiste vigilant qui garde les yeux ouverts sur le monde et considère qu’il n’y a pas de théâtre qui ne soit engagé, exigence éminemment louable en ces temps de morosité intellectuelle. Il a choisi de traiter un sujet on ne peut plus explosif, le conflit israélo-palestinien et pour cela s’est rendu sur place, démarche qui ne peut que jouer en sa faveur. Conscient de la complexité du projet, il s’explique largement, prévenant les attaques éventuelles de ceux qui jugeront justement que la question est trop délicate pour en faire un spectacle ou de ceux qui le taxeront trop vite d’antisémitisme. Mais, fort d’une conviction, un peu juvénile, il juge que le seul constat « un occupant, un occupé » est une justification suffisante pour partir en croisade, éluder l’analyse de la complexité du conflit et se situer dans le registre de l’affectif. De ce point de vue, le verdict est indiscutable. Mais quel est l’objectif de cette violente dénonciation (à la mesure de la violence faite à tout un peuple nous dira-t-on) ? Ce spectacle dégage la même haine radicale que les deux peuples en conflit. Si le théâtre est un miroir de la société, il est dangereux de l’instrumentaliser sans en maîtriser les risques. Or, ici, on a le sentiment que l’auteur confond scène de théâtre et tribune politique. Le problème ne tient pas dans le fait de montrer ces souffrances et les humiliations subies par les Palestiniens mais dans la manière de le faire et le point de vue adopté qui tient de la harangue politique la plus radicale. Quel que soit le sujet abordé, cette démarche est pour le moins contestable.

Incitation à la paix…

On préférera, à l’exhortation à la haine, la position de ceux qui œuvrent pour la paix, qui cherchent le rapprochement des peuples, symbolisé dans des collaborations artistiques parfois très compliquées. Ceux-là ont clairement le projet de faire tomber la fièvre de la haine. Pour ne parler que de ce conflit, on citera pour exemple le projet (1994) du Palestinien Fouad Awad, co-metteur en scène avec Eran Baniel du théâtre El-Kasaba de Jérusalem-Est, et le théâtre palestinien Khan. George Ibrahim, directeur du théâtre palestinien parle du projet avec réalisme : « On n’en est pas à la réconciliation des deux familles, comme celle des Capulets et des Montaigus, dit-il. C’est pourquoi la mise en scène insiste sur les morts qui résultent de la haine et de la guerre. » A propos de Shakespeare, on se souvient d’un ancien Roméo et Juliette en arabe et en hébreu à la forte portée symbolique. Plus récemment, en 2006, le projet PIF (Palestine, Israël, France) réunissait la circassienne israélienne Orit Nevo, les musiciens palestiniens Moneim Adwan et Mando Al-Soweirki, l’américain Gulko et des Français. L’objectif de cette collaboration était de développer un pont culturel entre des artistes Palestiniens et Israéliens, juifs et arabes. Ou bien encore du côté du cinéma avec cette initiative palestinienne de sept films, réunis sous le titre de Reel perspectives, produits par dix jeunes Israéliens, autant de jeunes Palestiniens et neuf jeunes Canadiens, « des semeurs de paix ». Et aussi le film Route 181, du Palestinien Michel Khleifi et de l’Isarélien Eval Sivan, conçu comme « un acte filmique, qui résiste à l’idée que la seule chose que puissent faire ensemble les Israéliens et les Palestiniens, c’est la guerre, la guerre jusqu’à ce que l’autre disparaisse ». Mais le cinéma n’est pas le théâtre qui se prête mal au documentaire.

…Plutôt qu’incitation à la haine

Cette large digression pour tenter d’expliciter la nature des réserves qu’a suscité un spectacle par ailleurs bien conçu, surtout du côté de la scénographie (Jean Haas) et de la dramatisation, nettement moins maîtrisé du côté du jeu des acteurs. Soulignons l’idée forte de la longue table encombrante, qui figure l’inutile table de négociations fantômes, installée au centre du plateau et hérissée des dérisoires petits drapeaux des partis en présence. Certains personnages sont intéressants comme du côté palestinien, Salem qui fabrique les affiches représentant les martyres morts pour défendre leur pays jusqu’au jour où c’est la photo de son fils qu’il imprime. De l’autre côté un soldat israélien qui doute et veut fuir aux Etats-Unis, des deux côtés des religieux radicaux. Aux scènes qui s’enchaînent en rafales, se superposent des images documentaires. Le manichéisme du propos, l’excès des images, l’absence volontaire de distanciation contribuent à susciter chez le spectateur un sentiment de révolte, voire de haine auquel on aurait préféré indignation et désir de compréhension. On pourrait penser que, l’auteur, en totale empathie avec son sujet, n’a pas mesuré tous les risques des dégâts collatéraux du point de vue adopté.

L’Affiche de Philippe Ducros, mise en scène Guy Delamotte, avec Patrick Azam, Véro Dahuron,Christine Guénon, Michel Quidu, Martine Schambacher, Alex Selmane, et Timo Torikka. Au Tarmac, du mardi au vendredi à 20h, samedi à 16h, jusqu’au 31 octobre 2009. Tel : 01 40 03 93 95.
www.letarmac.fr

Texte publié chez Lansmann éditeur.

Spectacle repris au Panta théâtre à Caen, du 16 au 18 novembre 2009
Au théâtre du Mans le 24 novembre 2009.

Crédit photographique : Eric Legrand

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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