Ivry- théâtre Antoine Vitez

Jean la chance de Bertold Brecht

Un conte populaire

Jean la chance de Bertold Brecht

On pensait connaître la totalité de l’œuvre de Bertold Brecht, pourtant cette pièce de jeunesse inédite et inachevée, écrite en 1919, a été découverte, il y a une dizaine d’années. A certains égards, elle annonce La Bonne Âme de Sé Tchouan et rappelle le brave soldat Chveik du Tchèque Hasek (roman satirique inachevé, 1921) ou même le Candide de Voltaire, personnages ingénus confrontés à la cruauté du monde. Jean est un bon gars, la gentillesse et la bonté faite homme, pas forcément benêt, quoi qu’il soit simple, c’est-à-dire sans malice. Toutes ses belles qualités lui vaudront de se faire dépouiller jusqu’à la moelle ; il perd sa femme, sa carriole qui était son unique bien, son ami qui n’en est pas un, son travail de gardien de taureaux contre la promesse d’amitié de celui qui l’avait déjà trahi, le manège qui était sa joie, etc. jusqu’à se retrouver « tout nu avec le ciel pour manteau ». Peu importe que Jean soit ou non simple d’esprit, ce qui intéresse c’est le comportement des autres qui tous le grugent.

Un monde cruel

Jean-Claude Fall qui n’en est pas à sa première mise en scène de Brecht sait admirablement, et avec une apparente simplicité, faire émerger l’humanité des personnages sans oblitérer la réflexion politique qui ne doit pas prendre la forme d’un message mais courir souterrainement tout au long du spectacle. La musique a souvent une place de choix dans ses mises en scène. Son Opéra de quat’sous était à cet égard d’une belle vitalité. La musique est au cœur de Jean la chance, elle en est l’âme, la corde sensible. Composée par Stephen Warbeck et jouée par une fanfare, elle accompagne les courts poèmes écrits par Brecht qui sont chantés par les comédiens entre chaque scène, en forme de commentaire. La gaîté populaire de la fanfare sied à la tonalité de la pièce, un conte qui finit mal, inspiré des Frères Grimm. Le manège qui occupe une période de la vie de Jean trône sur le plateau en forme de tréteaux inclinés, symbole du tourbillon dans lequel Jean est entraîné sans le vouloir. Chaque scène se déroule devant un ciel différent, et l’horizon s’éloigne toujours davantage jusqu’à ce que Jean se perde pour toujours en répétant inlassablement que tout est beau.

Le spectacle est emmené par David Ayala, grand gaillard énergique, qui joue d’une manière très physique. Tout en rondeurs, la corpulence bonhomme, il fait de Jean un personnage lumineux, attachant et parvient à ne jamais tomber dans la mièvrerie qui menace pourtant. Car comment négocier l’expression naïve des émerveillements incessants de Jean ? Quelles que soient les épreuves traversées, il s’extasie sur la beauté du monde, de ces merveilleux nuages dans les formes desquels il voit son visage, et répète que tout est si beau ou que tout va bien puisqu’il lui reste la vie. Et à chaque fois on croirait qu’il découvre les beautés de la vie pour la première fois et que c’est là sa force intérieure. Il est comme étanche à ce qui lui arrive, imperméable à l’expérience dont il ne tire jamais aucun enseignement. Cette capacité d’adaptation aux aléas de la vie en fait une victime de la société, à moins qu’on ne le considère responsable d’une situation qu’il ne remet jamais en question. Jean est un grand personnage de théâtre qui pourrait devenir, que la mise en scène de Jean-Claude Fall et la très sensible interprétation de David Ayala contribue à porter au rang d’un type comme Roméo ou Harpagon.

Jean la chance de Bertold Brecht, mise en scène Jean-Claude Fall avec David Ayala, Mihaï Fusu, Patty Hannock, Dominique Ratonnat, Roxane Borgna, Fouad Dekkiche, Jean-Claude Fall, Isabelle Fürst, Fanny Rudell, Luc Sabot. Musiciens : Patrice Antonangelo, Anne-Sophie Courderot, Anne Le Pape, Ghislain Hervet, Romain Joutard, Haki Kilic, Luc Sabot. Au théâtre d’Ivry Antoine Vitez jusqu’au 3 février 2008. Durée : 2h.
Tél : 01 43 90 11 11.
www.theatre-quartiers-ivry.com

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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