Gérard Gélas, un esprit libre au service du théâtre

Le directeur du Chêne Noir répond à nos questions à l‘occasion des 40 ans de son théâtre.

Gérard Gélas, un esprit libre au service du théâtre

Le théâtre du Chêne Noir fête ses 40 ans cette année, dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Je suis dans l’état d’esprit d’un artiste en pleine répétition de son nouveau spectacle, avec toute l’effervescence dont j’essaie de profiter à chaque seconde. Dans le théâtre, il arrive parfois que le temps passé à chercher des financements excède celui consacré aux répétitions. Je ne suis pas à plaindre car mes créations sont présentées en France, comme à l’étranger. Toutefois, le temps privilégié d’un artiste c’est le moment où il peut pratiquer son art. Je suis actuellement à l’ouvrage avec des acteurs, des équipes techniques, des magiciens. Mon spectacle Radio mon amour sera livré le 6 juillet et j’espère que cette comédie touchera le public qui viendra la voir au Chêne noir.

Après 40 ans de pratique, faut-il donc tout recommencer à chaque fois ?

Non, ce serait mentir. Il ne s’agit pas de tout recommencer, j’ai une structure, une équipe. Par contre, ce n’est pas un don du ciel. Et sur le plan artistique, il ne s’agit pas d’appliquer des recettes. La véritable expérience sert à affirmer sa liberté. J’aime cette phrase de Picasso : « Je ne cherche pas, je trouve », et ça, c’est simplement le métier. L’expérience permet sans doute de parvenir plus rapidement à ses fins. Aller toujours plus loin dans la direction d’acteurs, les recherches formelles… Mais c’est difficile le théâtre, même si du point de vue de la salle, ça a l’air simple. Justement, personne ne voit les échafaudages, ni l’ensemble des éléments indispensables à la mise en place du spectacle. Or c’est le plus important. Notre désir et notre devoir c’est de donner du plaisir au gens, fusse à travers de tragédies. Les gens paient, sortent de chez eux, garent leur voiture, font garder les enfants - que sais-je encore ! - pour voir des gens sur une scène. Autant qu’ils en profitent ! Et qu’on sorte de cette mortification qui a tout de même quelque peu occupé un certain nombre de scènes en France, souvent d’ailleurs très subventionnées.

Comment les rapports entre l’institution, les comédiens, les artistes et le public ont-ils évolués ? Le plaisir n’a plus sa place ?

Je ne suis pas là pour jeter des pierres. Dans un sens, je comprends car cela aurait pu m’arriver. Mais le théâtre est un métier terrible, qui exige énormément de fonds. Si vous n’êtes pas pris au sérieux, vous n’avez pas d’argent, donc très vite vous pouvez être conduit à vous notabiliser. Pas se notabiliser, dans le sens « Voilà un notable de province. ». C’est plutôt l’idée de se notabiliser en faisant le beau, le petit chien qui tire la langue devant la critique.

Vous pensez au conformisme ?

Bien sûr, le conformisme ! Prenons le festival de Cannes par exemple. Je ne remets pas en cause la valeur de tous ces artistes. Par contre, ceux qui déclarent que seuls sont présents les plus talentueux et qu’en dehors il n’y a plus rien… Ceux-là deviennent finalement juges et parties. Notables, dans la mesure où ces gens ont un trésor de guerre et se serrent les coudes pour le garder. On est du même bord, on se connaît, on va aux mêmes endroits en vacances, etc. Prenons le festival d’Avignon. Tout le monde s’affiche de gauche ou d’extrême gauche, vote Besancenot et va dormir à La Mirande ! Cela existe, j’en connais ! J’ai vu évoluer des gens qui ont gardé l’apparence, les oripeaux d’Antonin Artaud, de Bakounine, de Lénine ou de Trotski. Ils sont devenus des petits bourgeois tout simplement parce qu’ils sont rentrés dans les conformismes. La véritable bourgeoisie ne se reconnaît pas au montant de sa fortune, mais à son état d’esprit. Et, si la liberté est intérieure, il y a des gens dans notre métier qui ne sont pas libres du tout. Complètement inféodés au qu’en dira t’on qui caractérise quelques journaux. Ces mêmes journaux qui conditionnent les subventions au niveau du ministère, des régions, des mairies moins, mais quand même !

Nous sommes dans une organisation pyramidale…

Evidemment ! Cela me rappelle un jour, alors que j’étais avec le directeur de cabinet du ministre de l’époque. Je lui disais franchement « Vous nous fatiguez, car quelque part vos critères c’est Télérama, Libération et Le Monde et on le sait très bien. » Alors, qu’en fait, ces gens là couvrent très peu de spectacles. Très peu. L’homme me répondit alors : « Mais pas du tout, mais qu’est ce que vous dites Gérard Gélas ! » Et il s’est insurgé. A ce moment là, un huissier en tenue - c’était rue de Valois - frappe à la porte. Arrive sur un plateau d’argent : « Libération ! » qu’il lui apportait, directement. Je lui dit : « Regardez ! » C’est les mœurs. Dans la république de toute façon, ce sont les princes qui nous gouvernent. De gauche ou de droite, on s’habitue vite.

Vous espérez que les choses vont changer ?

Franchement, ça m’est égal ! Au stade où j’en suis, et à l’âge qui est le mien je m’en fiche. Mais il va falloir faire bouger les choses. Or ce n’est pas une tâche facile, loin de là ! Que faut il donc faire ? Etre unis. Regardez à Avignon ce qui s’est passé avec Avignon Festival et Compagnies. C’est formidable. Formidable ! Il y a là des gens qui ont de la bouteille, d’autres qui en ont beaucoup moins. Certains ont des gros théâtres, d’autres, des petits. Voilà des gens qui ne se connaissaient pas, et qui parfois même, pouvaient dire des choses pas très agréables les unes sur les autres, voir le diable là où il ne l’était pas… Enfin, depuis leur rencontre, ils se parlent, sont devenus amis, élaborent des projets ensemble. Ils ont réussi à contourner, ou plutôt affronter tous les obstacles. Et Dieu sait s’il y en avait, souvent d’ailleurs tendus par l’institution…Qui était quand même copieusement derrière Avignon Off. Ces gens ont réussi à déjouer tous les pièges, jusqu’au dernier procès en date, la semaine dernière. Tout cela, car ils refusaient d’accepter les dictats d’un certain nombre de notables influents… Enfin, j’aimerai bien savoir ce que les gens du In pensent vraiment du Off.

La rénovation du Off entreprise par AF&C est-elle révolutionnaire ?

C’est moderne. Moderne plus que révolutionnaire en réalité. J’ai été révolutionnaire mais je ne le suis plus, pas parce que j’ai pris de l’âge, mais simplement car je vois tout ce qui se passe autour de moi. Imaginez une seconde un mouvement violent aujourd’hui en France. Dans la région sud, ce serait une véritable boucherie. Loin de moi cette idée. Par contre, changer les choses qui ne vont pas, ô combien ! Et pour ce faire, il n’y a pas 36 manières. Quand l’institution ne veut pas vous reconnaître et si vous êtes dans votre bon droit, il faut se bagarrer. Et plus nous sommes nombreux, plus nous sommes forts. C’est évident. Solidaires. Et comme disait Camus, solitaires aussi, tout comme l’artiste. Camusien, je suis camusien depuis l’âge de 15 ans.

Parlez-moi à présent de la programmation du Chêne Noir qui s’annonce exceptionnelle…

Effectivement. Mais il faut tout de même dire en préambule que je n’ai toujours pas un centime du Ministère de la culture pour faire ma programmation. Après 40 ans de métier ! Mais cela ne m’empêche pas de ne travailler qu’en productions, co-productions ou co-réalisations.

Cet été, il va donc y avoir des gens que j’invite et que j’aime. Vincent Roca avec Une heure de gaieté. Le théâtre du Kronope, qui rejoue Le malade imaginaire. Une merveilleuse compagnie avignonnaise que j’affectionne particulièrement. Daniel Mesguich, de retour au Chêne Noir avec son fils William. Ils viennent nous interpréter l’entretien de Mr Descartes avec Mr Pascal Lejeune. Avoir le père et le fils sur la même scène, ça me touche beaucoup. Serge Valetti, nous présentera Réception, une création du metteur en scène Christophe Correia. Un texte absolument inédit avec Claire Nebout et Jean-Claude Dreyfus. Nous accueillerons aussi la seule pièce écrite par Pedro Almodovar, Papier diffuseur, pièce produite par des amis très proches, Eric et Joël Cantona, avec Emmanuelle Rivière entre autres. Par ailleurs, Pierre Santini viendra interpréter Virgilio, l’exil et la nuit sont bleus. Enfin, ma création Radio mon Amour avec Alice Belaidi et Damien Rémy.

Daniel Auteuil inaugurera la saison d’hiver du Chêne noir avec Il fait l’idiot à la chapelle. Je ferai la mise en scène d’une production du théâtre du Luxembourg. Puis, Mireille que j’ai très librement adaptée, sera reprise à l’Opéra d’Avignon. Sans oublier Philippe Caubère avec L’homme qui danse, et un week-end jazz. Jacques Weber, Philippe Avron et bien d’autres seront aussi présents.

« Radio mon amour est une comédie fantastique hallucinante »...

C’est l’histoire d’Estrella et de Dester, un couple de 25/30ans, qui vit dans un pavillon de banlieue. Sans travail, elle s’ennuie dans son pavillon. Lui cherche soi-disant du boulot à l’extérieur avec son copain Nordine. En réalité, il passe son temps à fumer des pétards et à jouer au PMU. Seule, elle tombe alors folle amoureuse d’une voix. Celle de l’animateur d’une radio, Radio mon amour qui vient tous les après-midi. La voix de Charles De La Strada. Cet animateur s’introduit chez les gens à travers la radio… il va même être là dans la pièce avec elle, quand le mari sera à l’extérieur. Commence, alors, une histoire à 3… C’est une comédie créee en France et en Italie en 1969, dont j’avais perdu le texte. J’ai voulu reprendre l’idée de l’animateur radio qui s’incarne et vit une histoire d’amour. Je l’ai réécrite totalement car cette pièce me hantait. Publiée aux éditions de L’Amandier, la sortie en librairie et le spectacle en Avignon auront lieu le 6 juillet. Les acteurs sont Alice Belaidi, qui tenait le rôle titre de Mireille, et Damien Rémy, mon comédien fétiche. Avec la participation exceptionnelle de Charles De La Strada… Je travaille également avec un magicien, un très grand du métier : Stefan Leyshon. Mais je ne peux pas vous en dire plus.

Crédit photos : Marc Ginot, Manuel Pascual

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Gilles Dumont

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