Conseil de classe de Geoffrey Rouge-Carrassas
Etats d’âme du dompteur
Précoce et particulièrement doué, Geoffrey Rouge-Carrassas entre au Conservatoire national d’art dramatique en 2013 à 17 ans. Sans attendre la fin du cycle d’études, il crée son premier spectacle, chorégraphique, l’année suivante. Suivra Y’a pire faut pas s’plaindre en 2015, primé par le Centre national du théâtre. Puis, Imagine une cabane, créé avec onze adolescents d’un collège de Montreuil où il est en résidence. Conseil de classe fait suite à cette expérience, alimenté par une expérience réelle d’enseignement (on ne sait pas quand il en a trouvé le temps !), tandis qu’il obtient un diplôme d’état de professeur de théâtre avec les félicitations du jury.
Doué est un euphémisme pour qualifier les talents multiples de ce jeune homme qui poursuit une vraie réflexion sur son métier et attache beaucoup d’importance à la transmission et aux échanges avec le public lors d’ateliers organisés en parallèle avec le spectacle.
Tout est singulier dans son Conseil de classe. Auteur, metteur en scène, acteur, Geoffrey Rouge-Carrassas a imaginé un enseignant qui, une fois les élèves partis, viderait son sac devant une assemblée de chaises vides, se transformant peu à peu en dompteur de fauves. Le spectacle est né de son expérience d’enseignant : « Après chaque cours, j’attendais que tous les élèves soient sortis, j’allumais mon dictaphone et je racontais ce que je venais de vivre. Parfois même je rejouais certaines situations auxquelles je n’avais pas su répondre – par manque de répartie, de recul, de courage ou parce que le règlement ne me le permettait pas et j’inventais alors ce que j’aurais pu dire. »
Le résultat est saisissant de vérité mais d’une vérité poétique, fantasmée ; en deux phrases il fait exister les élèves absents en s’adressant aux chaises vides. Il est rare d’avoir l’occasion d’entendre le point de vue de l’enseignant sans fards, sans crainte de l’outrance, de la provocation, comme on se lâche en aparté quand on n’en peut plus pour dire tout ce qu’on n’oserait pas exprimer pour de vrai. Entre passion, colère et frustrations quelques idées fortes surgissent (le pouvoir des mots, de l’échange) sur un mode inattendu.
Une écriture percussive, très singulière, musicale, boxeuse, d’une rythmicité éloquente (« ceci dit moi aussi à ton âge j’étais un vrai connard à cracher sur les moches/à pousser les plus faibles/ ils s’en souviennent peut-être encore/notre manière à nous d’être populaire/ rien de tel/ que pointer/ du p’tit doigt/ le p’tit gros/ pour se faire des amis). Une mise en scène essentiellement conçue comme support de jeu et qui pourtant, au-delà du cirque, évoque le champ des batailles du prof face à la cohorte indisciplinée des élèves. Une présence forte, élégante et énergique. Une silhouette déliée, surmontée d’une tignasse de lion qui encadre un visage d’une incroyable finesse, éclairé par un regard noir perçant. Le dompteur a lui-même quelque chose de félin, fauve parmi les fauves. Un spectacle captivant, souvent drôle, entre confession, hallucination et cauchemar. On a pu le voir au Festival d’Avignon et au Festival de Villerville en septembre où il a présenté l’esquisse de sa prochaine création Roi du silence.
Conseil de classe de et par Geoffrey Rouge-Carrassas. Durée : 1 heure.
Du 6 au 11 novembre au Théâtre des Marronniers à Lyon.
Du 7 au 8 février à La Comète - scène nationale de Châlon-en-Champagne.
photo Victor Tonelli