Nanterre, Théâtre Nanterre-Amandiers

Calme de Lars Norén

Chronique familiale impitoyable

Calme de Lars Norén

Si les relations conflictuelles entre parents et enfants sont souvent au cœur de l’œuvre de Lars Norén, cette pièce écrite en 1984 (L’Arche éditeur) emprunte plus qu’à l’ordinaire à ses souvenirs autobiographiques et aux traumatismes vécus dans son milieu familial. Elle s’inscrit dans une trilogie composée de La Nuit est mère du jour et Le Chaos est voisin de Dieu. Le dramaturge suédois confie avoir aussi été inspiré par le Long voyage dans la nuit de Eugène O’Neill, dont les sources sont similaires.

Un couple et leurs deux enfants vivent dans un hôtel - restaurant désespérément vide, dont ils ont la gestion. Ernst, le père, alcoolique et névrosé, Lena, la mère, n’a que trois mois à vivre condamnée par un cancer, Ingemar, le fils ainé, soucieux d’insertion normalisée, et son cadet John, âgé de vingt-cinq ans, qui a fait un séjour en hôpital psychiatrique, aspire à devenir poète. Deux frères que tout oppose. Sous l’œil d’une femme de service, Martha, ce quatuor s’affronte, se déchire, révélant son mal-être et ses blessures intérieures.

A travers la lente progression du drame se développent les caractères de ces personnages entraînés par la montée de la violence de leurs affrontements, qui résonnent, au-delà des règlements de comptes, comme autant d’appels au secours. Ernst, couvert de dettes cherche un improbable secours financier, et tente d’oublier la médiocrité de sa vie et sa solitude lors de ses descentes en cave. Léna, esseulée depuis de longues années, accepte avec résignation sa mort programmée et envisagée comme une forme de libération. Non sans avoir tenté au préalable de mettre de l’ordre dans la cellule familiale. Ingmar, reste avec ses doutes et ses angoisses et partira pour une autre ville. Quant à John, il tentera de rester fidèle à ses révoltes et à ses indignations pour mener sa vie au bout de se rêves.
A travers la virulence de leurs propos se révèlent les manques de compréhension et d’amour, de frustrations, de culpabilité ou de désirs inavouables qui ont conduit aux fractures indélébiles des personnages. Sans aucune surcharge psychologique, ils trouvent une vérité criante dans les dialogues et situations imaginés par Norén qui les situent entre Bergman ou Strindberg.

Après, Catégorie 3 :1 (2000), Kliniken (2007), et Détails (2008), Jean-Louis Martinelli, renoue avec bonheur avec Lars Norén. Il conduit cette saga explosive avec intelligence et finesse, s’appuyant sur un réalisme poussé à l’extrême, révélateur des tensions et des non-dits des protagonistes, dont la mise en scène rend lisible les tourments intérieurs d’une manière prégnante qui interpelle et renvoie chacun à ses propres interrogations. Cet aboutissement ne pourrait être obtenu sans l’interprétation d’excellents comédiens. Jean-Pierre Darroussin (Ernst) est confondant de justesse dans la composition de son personnage désespéré, avec une retenue révélatrice de ses conflits intimes. Christiane Millet (Lena) apporte une présence remarquable à cette mère courage, avec une fine distanciation et une profonde humanité. Nicolas Pirson (Ingemar) laisse judicieusement filtrer la sourde ambigüité et la complexité des sentiments qui alimentent son agressivité face à son jeune frère. Alban Guyon, (John), est un révolté piquant tout en tensions, animé par la fougue de la jeunesse et le refus des compromis pour poursuivre sa route après ce désastre. A leurs côtés, Delphine Chuillot (Martha) est un témoin passif mais significatif de ce drame familial. En parfaite cohérence avec les orientations de la mise en scène, le décor hyperréaliste de Gilles Taschet accentue le climat oppressant de la localisation de la pièce, dont les variations se révèlent sous les fines lumières de Jean-Marc Skatcho. Il bascule à la fin du spectacle dans une vision poétique qui achève la représentation. Lorsque les destins basculent, avec l’oubli comme seule mesure de salut.

© Pascal Victor

Calme de Lars Noren, adaptation et mise en scène Jean-Louis Martinelli, d’après la traduction française de Camilla Bouchet (L’Arche éditeur), avec Delphine Chuillot, Jean-Pierre Darroussin, Alban Guyon, Christiane Millet, Nicolas Pirson. Scénographie Gilles Taschet, lumière Jean-Marc Skatcho, son Jean-Damien Ratel, costumes Karine Vintache. Durée 3 heures (entracte compris). Théâtre Nanterre-Amandiers jusqu’au 23 février 2013

A propos de l'auteur
Jean Chollet
Jean Chollet

Jean Chollet, diplômé en études théâtrales, journaliste et critique dramatique, il a collaboré à de nombreuses publications françaises et étrangères. Directeur de publication de la revue Actualité de la Scénographie de 1983 à 2005, il est l’auteur de...

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