Blind Date de Mario Diament

L’aveugle de Buenos Aires

Blind Date de Mario Diament

Parallèlement aux pièces de Ionesco données fidèlement depuis 58 ans, le théâtre de la Huchette crée régulièrement des pièces nouvelles. Après l’excellent Un rapport sur la banalité de l’amour, sur Hannah Arendt, voilà une autre pièce de l’Argentin Mario Diament, Blind Date, d’une égale qualité. On méconnaissait à tort cet auteur en France. François Thanas nous le fait connaître dans de belles traductions. Cette fois, il s’agit d’une variation sur le personnage de Borges, l’écrivain mythique absolu pour les Argentins, le poète aveugle pour qui tout ce qui comptait au monde était fiction et bibliothèque. Tout tourne autour d’un écrivain qui a perdu la vue et vient régulièrement s’asseoir sur un banc de la place San Martin, à Buenos Aires. Ce n’est pas Borges lui-même, mais c’est un son fantôme, quelqu’un qui lui ressemble. Des passants lui demandent leur chemin. Aveugle, il peut leur donner, doué qu’il est de mémoire et de prescience. Aussi les gens ne partent pas tout de suite, discutent avec lui, content leur vie. Leurs histoires se recoupent. L’homme sans vue établit dans sa tête les relations entre les uns et les autres ; il sait qui va quitter qui, qui va partir à l’étranger... Il pressent la vérité mais ne la révèle pas à tous ceux qui viennent lui parler.
Le puzzle ainsi constitué prend le spectateur dans une interrogation toujours renouvelée. Ces énigmes sont toujours simples et humaines. La mise en scène de John McLean a le sens du temps et de la parole suspendus. Victor Haïm – ce grand auteur qui est aussi acteur et qu’on est heureux de revoir sur une scène – incarne l’écrivain aveugle d’une manière à la fois mythologique et contemporaine : c’est Œdipe à Buenos Aires ! Il est très bien entouré par Dominique Arden, Raphaëlle Cambray, Ingrid Donnadieu, et André Nerman qui jouent, tour à tour, leur partition isolée et complémentaire. Ce spectacle s’emporte avec soi et vous hante d’une manière douce, longtemps.

Blind Date (l’amour à perte de vue) de Mario Diament, traduction de Françoise Thanas, mise en scène de John McLean, lumière de Frédéric Serve, costumes de Françoise Arnaud, avec Dominique Arden, Raphaëlle Cambray, Ingrid Donnadieu, Victor Haïm, André Nerman.

Théâtre de la Huchette, 21 h, tél. : 01 43 26 38 99. Durée : 1 h 50. (En mars dernier, La Cantatrice chauve et La Leçon de Ionesco, données dans ce théâtre depuis 1957 à un autre horaire, ont fêté leur 18 000e représentation ! )

Photo Lot. (A gauche, Victor Haïm ; à droite, Dominique Arden).

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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