A Paris, au studio Marigny

4211km de Aïla Navidi

Le combat continue

4211km de Aïla Navidi

Exil, transmission, identité, c’est la trilogie invariable vécue par les exilés, d’où qu’ils viennent et où qu’ils aillent. Quant aux enfants d’exilés nés en terre étrangère, c’est l’écartèlement permanent entre deux mondes qui produit un sentiment pénible de ne pas avoir d’identité, dans le regard des autres, mais pas que.
Aila Navidi, l’autrice de 4211km a vécu cette expérience. Ses parents ont fui l’Iran au moment de la Révolution islamiste en 1979. Ils sont arrivés en France avec le statut de réfugiés politiques, convaincus que ce serait provisoire. Le provisoire a duré 35 ans. Leur fille, née en France, de nationalité française, a vécu par procuration ce rêve nostalgique du retour. Il y avait le monde de l’extérieur et celui de l’intérieur. Sitôt la porte du petit appartement franchie, elle se retrouvait en Iran. Les parents avaient emporté dans leurs bagages leur culture, leurs traditions musicale, culinaire, leur exubérance et leur verbe haut et leurs inimitables excès orientaux. Comment et pourquoi faire autrement puisque cet exil est provisoire ?
Aïla Navidi raconte son histoire à travers le personnage de Yalda Faradhi (Olivia Pavlou-Graham, Molière 2024 de la révélation féminine), fille de Mina (Alexandra Moussaï, orientale à souhait, tout en excès émotionnels) et de Fereydoun (Florian Chauvet). La jeune fille éprouve très tôt l’ambiguïté de sa situation, les réflexions désagréables sur son physique et ses origines. Elle pose mille questions à sa mère sur leur vie en Iran mais celle-ci répond évasivement ou de mauvaise grâce pour protéger sa fille de révélations violentes, ou parce que, puisqu’ils sont là provisoirement, n’est-ce pas, alors à quoi bon ? Mina cultive le silence, et Yalda souffre d’un besoin viscéral de le rompre, de connaître ses racines, d’arriver à conjuguer ses deux identités. Par fragments, flash-backs, le récit dévoile peu à peu le parcours douloureux d’un père activiste politique et d’une mère enseignante de philosophie qui du jour au lendemain ont abandonné leur vie pour l’inconnu, laissant leurs vieux parents derrière eux.
Le spectacle (Molière du meilleur spectacle du théâtre privé) est efficace et touchant. Sa facture volontairement simple, à hauteur d’homme, accentue la proximité des spectateurs avec l’histoire et ses protagonistes. La distribution est impeccable. Olivia Pavlou-Graham est très juste dans le double rôle de narratrice et de fille de la famille. Alexandra Moussaï, dans le rôle de Mina, a capté très joliment la dimension orientale du personnage sans jamais faire dans le pittoresque. June Assal interprète la sœur de Mina, virevoltante et pleine de vie. Douée d’une vraie nature comique, elle est aussi l’impayable professeure de français langue étrangère et une manager pimbêche et coincée.
4211km est la distance qui sépare Téhéran de Paris, que Yalda et son copain Edouard (Damien Sobieraff) parcourront en voiture pour finalement rendre Mina et Fereydoun à leur terre natale.
La pièce est conçue comme une arme de combat, un hommage à tous les opposants, tous les défenseurs de la démocratie massacrés en Iran, un soutien à tous ceux qui luttent pour leur liberté.

4211km, Autrice, metteuse en scène et comédienne : Aïla Navidi. Assistante à la mise en scène : Laetita Franchetti. Scénographie : Caroline Frachet. Lumière : Gaspar Gauthier. Création sonore et vidéo : Erwann Kerroc’h. Avec Olivia Pavlou-Graham en alternance avec Chloé Ploton, Alexandra Moussaï, en alternance avec Aïla Navidi ou Deniz Türkmen, June Assal en alternance avec Lola Blanchard ou Sandra Provasi, Florian Chauvet en alternance avec Léo Grange, Damien Sobieraff, en alternance avec Benjamin Brénière ou François Bérard, Thomas Drelon, en alternance avec Sylvain Begert.
Paris, Studio Marigny, du mercredi au samedi à 21h, dimanche à 15h. Résa : 01 86 47 72 77.
www.theatremarigny.fr

© Béatrice Livet

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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