Schumann par trois fois

À la Cité de la musique, cinq instrumentistes de choix interprètent trois grandes partitions de musique de chambre signées Schumann.

Schumann par trois fois

LA VIE DE SCHUMANN S’EST TERMINÉE dans la tragédie, mais malgré le chaos qui s’est peu à peu emparé de l’esprit du musicien, sa carrière de compositeur suit plusieurs phases qu’il est assez facile de définir : d’abord une décennie essentiellement consacrée au piano, sous l’égide exaltée de Clara (jusqu’en 1830), une année vouée au lied (1840), en attendant que le musicien investisse les domaines de la musique de chambre, puis de la musique symphonique et de l’oratorio.

C’est précisément un concert réunissant trois œuvres de musique de chambre composées au cours de la même année 1842 que nous ont offert cinq musiciens – cinq musiciens réunis pour l’occasion et non pas un ensemble constitué. Mais cinq musiciens, bien sûr, interprètes passionnés de la musique de Schumann et se connaissant suffisamment pour atteindre à une grande complicité.

Tout commence avec le premier des trois Quatuors op. 41 (dédiés à Mendelssohn), joués par les violonistes Isabelle Faust et Anne Katharina Schreiber, l’altiste Antoine Tamestit et le violoncelliste Jean-Guihen Queyras. On goûte l’engagement des musiciens, la finesse de l’Andante espressivo, le crépitement du scherzo, la vigueur du finale muni d’une section lente, avant la coda, d’une grande beauté. Mais la Salle des concerts de la Cité de la musique n’est pas le lieu idéal pour ce type de musique, qui dans les mouvements lents notamment, semble flotter dans le lointain. L’auditorium de Radio France ou la salle Gaveau permettraient de faire entendre davantage le violoncelle, notamment.

L’étoffe du piano

Avec le Quatuor op. 47, dont les premières mesures sonnent étonnamment beethovéniennes, le piano d’Alexander Melnikov apporte de la matière. Il s’agit d’un Blüthner fabriqué à Leipzig en 1856, année de la mort de Schumann, qui a longtemps vécu dans cette ville et y a fait entendre pour la première fois les trois œuvres du programme de ce concert (Mendelssohn était au clavier, en 1842, lors de la création privée du Quatuor op. 47 et du Quintette op. 44, avant que Clara Schumann prenne le relais à l’occasion de la création publique des deux partitions). Sa sonorité a peu à voir avec nos Steinway contemporains, mais paradoxalement prend son étoffe dans la salle et donne de l’ampleur à l’ensemble. On goûte mieux la puissance maîtrisée du jeu d’Antoine Tamestit, le phrasé chaleureux de Jean-Guihen Queyras, le lyrisme d’Isabelle Faust.

La même expérience se reproduit avec le Quintette op. 44. Anne Katharina Schreiber retrouve sa place de violoniste aux côtés d’Isabelle Faust (les deux violons ne sont pas ici face à face, disposition qui fait davantage dialoguer les instruments mais qui est rarement choisie). Schumann fait intervenir ses doubles familiers Florestan et Eusebius, balance constamment de l’élan (le vertigineux scherzo) à l’élégie, mais il incorpore à sa partition une marche funèbre (le célèbre deuxième mouvement) et conclut le tout dans une espèce d’euphorie, laquelle donne ici à la musique une présence physique dont nous avons été privés au début.

Illustration : le jeune Mendelssohn au piano devant Goethe (crédit Getty/dr)

Robert Schumann : Quatuor à cordes n° 1, op. 41 n° 1 ; Quatuor pour piano et cordes ; Quintette pour piano et cordes. Isabelle Faust et Anne Katharina Schreiber, violon ; Antoine Tamestit, alto ; Jean-Guihen Queyras, violoncelle ; Alexander Melnikov, piano. Cité de la musique, 7 novembre 2023.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook