Interview / Opéra & Classique
Rencontre avec François Dumont, un pianiste éthique
Le pianiste français creuse un sillon en profondeur patiemment construit, sans esbrouffe.
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- 16 janvier 2018
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Il coche toutes les cases du pianiste virtuose avec l’adoubement indispensable de maîtres du XXème siècle : Bruno Rigutto, Leon Fleisher, Murray Perahia… son lot de breloques de concours prestigieux – en autres excusez du peu ! Reine Elisabeth à Bruxelles, Chopin de Varsovie, Clara Haskil en Suisse, Hamamatsu au Japon, Piano Masters de Monte-Carlo –, des invitations de grands festivals (Roque d’Anthéron, Chopin à Bagatelle…) et de chefs charismatiques (Leonard Slatkin pour les Concertos de Ravel avec l’Orchestre National de Lyon (CD Naxos), …
Tout en balayant la légende du virtuose nécessairement solitaire éperdu de contrôle puisqu’il garde aussi la volonté du travail collectif en musique de chambre avec le Trio Elégiaque (avec une intégrale des Trios de Beethoven de référence chez Brilliant Classics) et des partenaires aiguillons tels que Tabea Zimmermann, Augustin Dumay,…
Musicien complet, François Dumont souhaite vivre et transmettre la musique au-delà d’une logique de trophées ou de carrière. Il a fait sienne les maximes d’Alfred Brendel dans ses ’"Réflexions faites"’ : « La technique naît dans l’imagination de l’artiste, elle en est le produit. Les progrès que j’ai faits, je les ai dues à mon désir de pénétrer les œuvres." Son jeu se fond parfaitement avec ce principe : « La grande interprétation élabore une œuvre de l’intérieur et la projette dans diverses directions simultanées. Ce à quoi nous aspirons n’est pas de jouer l’œuvre mais que l’œuvre nous joue. »
Le pianiste français creuse un sillon en profondeur patiemment construit, sans esbrouffe.
L’exemple du maître autrichien octogénaire autorise plusieurs rapprochements le trentenaire Dumont – quitte à heurter une modestie plutôt rare pour un musicien de cette trempe - : son jeu est le fruit d’une réflexion exigeante humble et d’un travail sur soi pour une éthique de l’interprète que Brendel définit simplement : « Il faut éveiller l’écoute du public avec ce que vous avez à proposer, et non jouer ce que celui-ci veut entendre. » Cette éthique invite à une certaine concentration du répertoire, même si Dumont n’a pas fini de nous surprendre. Pour l’heure, il médite ses dialogues pianistiques avec une poignée de compositeurs-phares, qui tous se nourrissent les uns les autres, avec souvent la ligne de champs comme fil conducteur : Bach, Beethoven, Mozart (avec notamment deux intégrales chez Anima Records des Sonates et des concertos qu’il dirige du piano avec l’Orchestre de Bretagne), Ravel, et bien sûr Chopin… pour donner au concert comme au disque toujours plus de sens et de lumière.
Dans ce parcours de conscience et d’introspection, la primauté de l’instinct ne peut être au détriment de l’introspection. Pour preuve, avec la maturité, Dumont ne laisse plus aux autres le soin d’écrire les textes qui accompagnent ses derniers enregistrements. Et ses analyses sont passionnantes, à la fois érudites, précises et personnelles. Du cycle de Trio de Beethoven, il écrit : « Il a transformé des délicates pièces de salon en pièces de concert, qui peuvent produire la même émotion, la même énergie, le même message universel qu’une symphonie. »
Du piano de Ravel : « Il fascine par sa capacité peu commune à manier avec aisance différents idiomes musicaux, différents langages, différentes formes, tout en gardant pour chacun d’eux une signature sonore bien à lui. (…) Son lyrisme secret nous touche d’une manière unique. Le fait que tant de personnes écoutent encore le « Boléro » dans le monde entier dénote une forte puissance d’attraction, un magnétisme inconnu, un étrange pouvoir de séduction intrinsèques à sa musique. »
Enfin des 21 Nocturnes de Chopin dont il vient de publier une intégrale chez ÆVEA / OnClassical : « Née du silence ou de l’improvisation, cette musique de solitude, monologue ou de confidence, semble être une des inspirations les plus authentiques et inimitables du compositeur polonais. Il revient de laisser le dernier mot à Chopin avec cette "aspiration", remarquable et unique indication d’interprétation inscrite dès le tout premier Nocturne : "Aspiratamente". »
La qualité de ses textes d’introduction devient d’autant plus pertinente qu’elle révèle la personnalité et le jeu de l’interprète. Ce qu’écrit Dumont de Ravel offre une clé limpide de l’éthique de son jeu : « Il avait une aversion pour la froideur et la sécheresse des techniciens parfaits, des virtuoses vides de sens. Néanmoins, il déclara ne pas vouloir être « interprété » mais seulement « joué », souhaitant éviter tous les excès des « interprètes ».
Chez Ravel, pas de débordement d’émotions : c’est souvent ce qui n’est pas dit mais seulement suggéré, implicite, qui est le plus fort et parfois le plus troublant. Le rêve de sa musique inspire l’auditeur vers toujours plus de curiosité, de culture et de sensibilité. »
Au-delà des mots, les dons de coloriste, de cantabile de Dumont permettent de vivre les illuminations et les ombres de chaque partition qui éclaire de ses doigts.
Concert
18 janvier. 20h30. Salle Gaveau 45-47 rue La Boétie 75008 PARIS 01.49.53.05.07 – Réservation : https://indiv.themisweb.fr/0565/fChoixSeance.aspx?idstructure=0565&EventId=18&request=QcE+w0WHSuAfkaqamO1+JeCW3J3/OguvB2uAlFnfT8Wf/JEfRkv97rlCQj82chtDhjqsmLjKSJ8=
Programme : Ravel : Gaspard de la Nuit, La Valse, Debussy : La Plus que lente, Chopin : Nocturne op. posthume, Valse op. 70 n° 3, Trois Nocturnes op. 9, Barcarolle op. 60, Scherzo n° 3 op. 39
Vient de paraitre
Chopin (intégrale) Nocturnes. ÆVEA / OnClassical