Moi et François Mitterrand de Hervé Le Tellier
un régal d’humour et de sensibilité
Hervé Le Tellier, oulipien et habitué de l’émission oulipienne Les Papous dans la tête sur France Culture, prince de l’humour noir, docteur en linguistique, est aussi mathématicien de formation, comme l’était Perec, oulipien virtuose qui jouait avec la langue en scientifique avisé et amusé. Il est fréquent que des tempéraments scientifiques développent une aptitude particulière pour la musique mais aussi pour retourner la peau des mots, ouvrir des brèches inattendues dans le cours ordinaire du langage transformé en terrain de jeux. Mais il ne faut pas s’y tromper, l’exercice, s’il est ludique est loin d’être gratuit.
A partir d’une proposition totalement loufoque, Le Tellier met en scène un pauvre type solitaire qui court de petits boulots en petits boulots. Mais ça on le découvre peu à peu et c’est une des qualités du texte que d’instiller peu à peu des informations qui de scène en scène suscitent compassion mêlée de rire. Le pauvre bougre, pour tromper sa solitude a construit une amitié épistolaire avec les différents présidents de la république de Mitterrand à Hollande dont les différents portraits sont révélés au fil du spectacle : Mitterrand, le plus grand, impérial, Chirac un peu plus petit, Sarkozy minuscule et Hollande définitivement de travers. Si Hervé (c’est son prénom) consent à correspondre avec tous, c’est quand même Mitterrand son préféré pour sa classe et son style inégalable. Tant qu’à faire, autant s’octroyer le plus haut échelon de la société, ça ne peut pas nuire au moral.
Présenté sous forme de conférence dans un bureau ministériel, le bonhomme expose, preuve à l’appui, ses intimes relations. Cependant, la preuve est toujours la même, une lettre type montrée par rétroprojecteur, accusant réception du courrier et promettant de prendre en considération, assurant des sentiments les meilleurs, etc. Et c’est sur cette formulation unique soumise à cent interprétations la personnalisant que repose cette amitié fictive, fruit de l’imagination désespérée de ce pauvre Hervé abandonné de la société. Il se donne l’illusion de partager sa petite vie : carte postale de vacances, commentaire sur le scandale des écoutes téléphoniques (il remercie du tact et de la confiance grâce auxquels il en été exonéré et sait gré au président de ne pas avoir violé son intimité), sur Bernadette Chirac à qui il taille un costume pour l’hiver, sur le « casse-toi pauv’ con de Sarkozy, sur Carla Bruni à qui il propose une petite composition musicale dans son style évaporé sans oublier Julie Gayet à qui il pense proposer un scénario de film. Pas dupe au fond, Hervé convient en enfilant son pyjama que sa femme avait raison de le traiter de prince de la mystification. En cela, l’autre Hervé (Le Tellier) n’a rien à envier à son personnage comme en témoigne l’entretien figurant dans le programme...
Ce qui pourrait apparaître comme une amusante pochade est en fait un survol historique des 35 dernières années à travers les personnalités joliment croquées de quatre présidents. La mise en scène de Benjamin Guillard est à la hauteur de l’humour et de la tendresse du texte dont la dérision est toujours bienveillante. Olivier Broche nous régale une heure durant dans cet exercice littéraire digne des Exercices de style de Queneau ou des Diablogues de Dubillard.
Moi et François Mitterrand de Hervé Le Tellier, mise en scène Benjamin Guillard, avec Olivier Broche. Paris, La Pépinière théâtre, du mardi au samedi à 19h Durée : 1h15.
Photo Raphaël Arnaud