Le baroque à travers les âges
Célia Oneto Bensaïd a conçu un programme captivant à l’occasion d’un récital donné au Couvent des Récollets.
- Publié par
- 5 avril 2016
- Critiques
- Opéra & Classique
- 0
IL Y A TOUJOURS QUELQUE CHOSE de poétique à écouter de la musique dans un lieu sauvé de la ruine mais qui a su retenir un peu de l’esprit des ruines, mélange de mélancolie, de mémoire enfouie et d’austérité. A Paris, le Théâtre des Bouffes du Nord figure à la perfection cette nostalgie, mais le Couvent des Récollets (situé non loin de la gare de l’Est), qui a subi diverses métamorphoses au cours de l’Histoire, en est un autre représentant. Édifié au XVIIe siècle, devenu un hôpital au XXe siècle puis transformé en lieu d’activités artistiques, il accueille notamment des concerts dont une partie de ceux de la saison baptisée « Les Pianissimes », laquelle, rappelons-le, se partage entre Paris et Lyon (en saison), et Saint-Germain-au-Mont-d’Or (à l’occasion d’un festival qui a lieu au début de l’été).
C’est dans l’ancienne chapelle de ce vaste Couvent des Récollets, munie d’une belle charpente en berceau et de murs décrépits avec art, qu’a eu lieu le récital donné par Célia Oneto Bensaïd. Le lieu n’est pas très vaste, ni la réverbération trop envahissante, ce qui permet de ne perdre aucun détail de la musique et d’être en communion avec l’interprète, d’autant que le public, disposé en U, cerne la petite scène où est installé le piano (un Steingraeber de belle facture, à l’aigu légèrement métallique).
Tout commence par la Cinquième suite en mi majeur de Haendel, que la doxa autorise de nouveau à entendre jouée au piano, même si l’instrument ne peut pas se faire oublier et au contraire impose sa pâte. Mais Célia Oneto Bensaïd aborde avec autorité la très belle Allemande et enchaîne avec les monumentales Variations et fugue sur un thème de Haendel composées par Brahms en 1861 pour Clara Schumann. Il s’agit d’un cycle immense de vingt-cinq variations réellement variées, allant de la danse tzigane à la déploration et au scherzo, conclu sur une fugue qui n’a rien de l’exercice de style. On imagine Clara se souvenant des poignets de son mari Schumann, mort depuis cinq ans, le jour où elle créa cette œuvre magnifique à Hambourg. Célia Oneto Bensaïd y manifeste la même calme autorité que dans la Suite qui précède (car tout n’est que recommencement !) et rend le sens de la couleur qui habite ces Variations et fugue, fait assez rare chez le compositeur allemand dont le sens de la structure, dans ses pages pour orchestre aussi bien que dans ses pièces pour piano ou ses œuvres de musique de chambre, est la vertu dominante.
Le déhanchement de la Forlane
Le Tombeau de Couperin étoffe cet hommage à la musique qu’on appelle baroque. L’ambiance est tout autre, bien sûr, mais l’interprétation de Célia Oneto Bensaïd fait justice à Ravel comme à Brahms, même si l’on attendrait un zeste de détachement ironique dans l’interprétation de ces six pièces qui, comme tout hommage, portent en elles-mêmes leur part de parodie. On reste toujours rêveur devant le charme irrésistible de la Forlane, cette danse faussement boiteuse qui, par son déhanchement même, atteint à la plus étrange élégance.
On attend en bis une page comme Les Barricades mystérieuses de Couperin, par exemple, qui renouerait avec l’esprit du début du récital, mais la pianiste préfère jouer la Dixième étude d’exécution transcendante de Liszt, puis le mouvement lent d’une sonate de Haydn, enfin le Onzième nocturne de Fauré. Un peu de dispersion, certes, mais ne boudons pas notre plaisir devant cette générosité. On a quitté l’univers de la musique baroque, de ses miroirs et des échos qu’elle a inspirés, certes, mais on reste jusqu’au bout dans la compagnie d’une pianiste de fière allure.
photographie : Gaël Vacher
Haendel : Suite n° 5 HWV 430 – Brahms : Variations et fugue sur un thème de Haendel – Ravel : Le Tombeau de Couperin. Célia Oneto Bensaïd, piano. Couvent des Récollets, lundi 4 avril 2016.
Prochain rendez-vous des Pianissimes : le lundi 16 mai à 20h au Café de la danse avec Kotaro Fukuma et le danseur Mathieu Ganio.