La Maison de Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca par Yves Beaunesne.

Le désir de vivre - corps et âme mêlés - ne se jugule jamais.

La Maison de Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca par Yves Beaunesne.

La Maison de Bernarda Alba, dernière œuvre de Federico García Lorca, est écrite en 1936, dans sa prison imposée par les Phalangistes, deux mois avant son exécution. Créée en 1945 au Teatro Avenida de Buenos Aires, elle est présentée en Espagne en janvier 1964, longtemps censurée par le franquisme pour sa critique des traditions, sa prémonition du long repli bâillonné de l’Espagne.

Bernarda régente sa maison, au centre du village, en sorcière : cinq filles, une mère folle, et deux servantes. Dressée contre ces huit femmes, elle est méprisante et craint le « Qu’en dira-t-on ? »
Sa morale est rétrograde : « Le fil et les aiguilles pour les femelles, la mule et le fouet pour le mâle », elle défend l’hypocrisie : « Je ne me mets pas dans les coeurs, mais je veux une façade solide. »

Comment peut-on parler ainsi aujourd’hui ? Or, nombre de filles soumises peuplent le monde.

L’emprise maternelle ici, patriarcale en général, traditionnelle et religieuse, sévit dans nombre de pays sur la planète, rendant les filles jalouses, méfiantes, mesquines car malheureuses. L’aînée
Angustias, héritière du premier mariage de Bernarda, parade, prête à épouser Pepe le Romano.

Le bellâtre non visible vient le soir, à la grille de la fenêtre, faire sa cour à Angustias. Or, le mâle trop proche menace l’ordre, tourmente les soeurs tendues et sensibles, entre amour et haine.

L’enfermement déploie un fort désir de liberté - souffle et songe -, d’autant que résonne le chant des moissonneurs non loin de la maison, laissant deviner l’immensité du ciel, le paysage rural écrasé de soleil, sous les coups sourds de l’étalon qui rue dans l’écurie - appel de la chair.

Adela, la plus jeune, moins docile, secrètement heureuse peut-être, se révolte et s’oppose à la bienséance, à la règle, à l’interdit, au code d’honneur qu’elle récuse au nom de sa foi, la liberté.

La mise en scène perspicace d’Yves Beaunesne, attentive à l’Andalousie profonde des années 30, est créée avec grande justesse et à-propos, à la Maison-Théâtre de Machy, à 18 km de Lyon, dans un espace de création, de formation, d’accueil d’artistes et d’événements. La cour du château, restaurée en 2011, accueille la salle de spectacle, un théâtre de plein air pour les Soirées d’été.

Un lieu rural qui sied à La Maison de Bernarda Alba, que le public apprécie comme s’il était dans la cour même de la demeure, contemplant de face, dans le lointain, le porche aux portes de bois closes, qui devraient ouvrir sur la place du village et ses rues ; un immense cèdre du Liban est éclairé à cour sous le croissant de lune, alors qu’à jardin, court une galerie de pièces latérales.

Le ballet des femmes est bien sombre : le deuil paternel de huit années est imposé par la mère. Les voiles noirs sont de circonstance, et rappellent en même temps un présent immédiat. Les servantes mènent la danse, quand la famille ‘est pas encore revenue de l’église, Cécile Maudet l’observatrice qui ne s’avance pas, et Fabienne Lucchetti - Poncia - qui ne s’en laisse pas conter.

La mère virile - Iris Aguettant - n’est que rudesse, sécheresse et terreur incarnées, effrayant ses proches - figure féminine grotesque par manque d’amour, d’affection et de tendresse, privilégiant l’excès et la démesure, la rigueur abusive et le plaisir malin et meurtrier de faire mal et de blesser.

Le collectif des jeunes femmes de la maison est, par nature, solaire, signifiant la force de la jeunesse et d’une envie de vivre vivace, et au-delà des obstacles, atermoiements, frustrations, empêchements, elles respirent l’étonnant et merveilleux sentiment d’être au monde, quoi qu’il en coûte.

Ces figures lumineuses, vêtues de dessous blancs quand elles cousent, enfermées chez elles, déploient une immense nappe blanche ou bien un large drap carré qui s’étale sur le plateau de bois - tache immaculée, espace esthétique et récepteur des rêves, miroir inversé d’un ciel d’espoirs. « Lorca s’est battu à 38 ans contre la mort de l’espérance. » (Yves Beaunesne)

Manika Auxire, Johanna Bonnet, Héloïse Cholley, Milena Csergo et Zélinda Fert, qui portent enfin des atours légers, plus colorés, libèrent une vraie énergie contrôlée - une manière d’être qui est fidèle à soi et à ses désirs cachés -, toutes différentes et mêmes, à la fois. Elles se meuvent, ardentes et vibrantes, arpentant l’espace imparti, enclines aux chansons populaires anciennes - « Te quiero, te quiero… » et à la musique espagnole traditionnelle, offrant des chants proches du choeur antique, sous la composition de Camille Rocailleux, avec Evelyne Causse au violoncelle.

Belle révolte orchestrée contre tous les patriarcats pour l’identité féminine et la liberté existentielle.

La Maison de Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca, mise en scène d’Yves Beaunesne - Cie La Première Seconde et Cie de la Chose incertaine, texte français et dramaturgie Marion Bernède, scénographie Damien Caille-Perret, lumières Joël Hourbeigt et Pascal Laajili, musique Camille Rocailleux, costumes Jean-Daniel Vuillermoz, coiffures et maquillages Oriane Boutry, assistanat à la mise en scène Pauline Buffet, chorégraphie Rosabel Huguet, à la Maison Théâtre de Machy - Soirées d’été Château de Machy - Chasselay (Rhône) Du 27 juin au 8 juillet (relâches les 2 et 3 juillet) à 21h. Le 4 avril 2024, ABC, Dijon. Le 5 avril 2024, Théâtre de Béziers. Du 10 au 12 avril 2024, Comédie de Picardie, Amiens. Du 17 au 20 avril 2024, Théâtre national de Nice, centre dramatique national. Le 16 mai 2924, Théâtre de Charleville-Mézières. Juin 2024, La Méta, centre dramatique national Poitiers-Nouvelle Aquitaine.
Crédit photo : Guy Delahaye.

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Véronique Hotte

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