Du 10 au 20 janvier 2024 au Théâtre de la Bastille

L’Amour de l’art de Stéphanie Aflalo.

Une approche des oeuvres picturales re-visitée dans l’insolite.

L'Amour de l'art de Stéphanie Aflalo.

Stéphanie Aflalo, metteuse en scène et comédienne aux mimiques faciales inénarrables et répétitives, s’amuse de l’art du décalage - conformée ou réduite elle-même à une silhouette dite « rétroversée », puisque bon nombre de ses organes corporels, dont l’utérus, et de ses membres, avoue-t-elle, sont « rétroversés » - des confidences inattendues de déformation physique de l’un et l’autre des deux conférenciers qui ne font que retarder la prestation artistique tant attendue du public.

En compagnie du comédien et metteur en scène Antoine Thiollier, fort bon danseur par ailleurs ; l’actrice compose un duo clownesque et pince-sans-rire, invitant le spectateur à une visite guidée déviante et déconcertante, faite de ratés, ralentissements, repentirs et apartés saugrenus.

Ces deux médiateurs culturels à l’air sérieux et convenu, lasers rouges en main, analysent une série de peintures, La Leçon d’anatomie de Rembrandt, Judith et Holopherme du Caravage, La Vanité ou Allégorie de la vie humaine de Philippe de Champaigne et autres vanités académiques, entre digressions intimes, discours à la fois entendus et anticonformistes, transgressifs encore.

Humour et dérision, malice et facétie, on se moque des sachants tout autant que des visiteurs placés dans la position des spectateurs qui assistent à une leçon de lecture picturale des oeuvres, tentant des propos savants, élaborés et circonstanciés de ces mêmes tableaux survolés. Que sont les conventions du monde de l’art ? Le regard profane se libère-t-il de la grandeur artistique ?

Les guides évoquent - ironie et absurde - la tendance politique de gauche ou de droite de la toile.
Reste, d’une oeuvre à l’autre, cette emprise sourde de la mort qui semble rôder autour de tous.

L’Amour de l’art relève du cycle des Récréations philosophiques chères à Stéphanie Aflelo. Avec Antoine Thiollier, elle a lu L’Amour de l’art de Pierre Bourdieu et Alain Darbel : ils ont choisi de s’interroger sur la manière dont le musée, censé être accessible à tous, prônant l’inclusion, ne fait que renforcer ce qui a revêtu un caractère sacré - un sentiment d’illégitimité à parler des oeuvres.

La parodie mène la conceptrice à déconstruire les valeurs établies : elle montre du doigt les paradoxes criants, les normes absurdes - morales, culturelles, esthétiques -, un geste scénique ludique qui conduit à l’ouverture salvatrice des perspectives et des regards. Ainsi s’entremêlent les moqueries sur les discours vulgarisateurs de l’art et en passant sur les tableaux eux-mêmes.

Le jeu consiste également à associer le guide de musée à l’acteur : le premier doit faire parler les tableaux de maîtres, le temps de la visite, quand le second doit faire parler le texte d’auteurs, le temps de la représentation, selon un même contrat tacite de légitimité à s’exprimer sûrement.

Maîtres anciens de Thomas Bernhard est une référence pour la conceptrice : elle cite l’auteur autrichien d’Extinction, quand il écrit qu’on dégoûte les enfants de l’art en leur « cognant la tête à tout moment contre une colonne ou contre un mur grec ou romain ». Or, on ne se moque ni des « sachants » ni de ceux qui n’ont pas les codes, parlent « sans savoir » et souvent méprisés.

Antoine Thiollier, en tenue sobre et décontractée, joue les abrutis bien élevés, obéissant au doigt et à l’oeil à sa partenaire scénique, engoncée dans un ensemble - jupe et veste - au rouge radical.
Figures figées aux postures maladroites et gênées, exposées au regard critique et actif du spectateur qui en attend davantage et aimerait qu’on lui parlât plus avant d’art et d’esthétique.

Un dernier tableau ludique : les guides de musée se tournent face public et analysent l’oeuvre vivante qui se tient ce soir-là sous leurs yeux - spectateurs amusés et interpellés, précis aux premiers rangs, imprécis aux derniers, sous le feu des éclairages à chaque extrémité élevée. On y retrouve des postures rétroversées, penchées ou bien recroquevillées - belle mise en abyme.

Reste que ce rendez-vous théâtral bon enfant est sympathique, invitant à la réflexion sur les conditions idéales du « savoir goûter » les grandes oeuvres d’art décidément incontournables.

L’Amour de l’art, conception Stéphanie Aflalo, écriture et jeu Stéphanie Aflalo et Antoine Thiollier, création vidéo Pablo Albandea. Du 10 au 20 janvier 2024 à 19h, samedi à 18h, relâche le 14 janvier, au Théâtre de la Bastille 76, rue de la Roquette 75011 - Paris. Tél : 01 43 57 42 14, www.theatre-bastille.com. Les 24, 26 et 27 janvier 2024 au Festival singulier.es, le Centquatre. Le 10 février 2024, Le Louvre Lens. Le 21 mars 2024, Théâtre universitaire, Nantes.
Crédit photo : Roman Kane.

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Véronique Hotte

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