Illusions d’Ivan Viripaev

Une brillante mise en scène de Julia Vidit

Illusions d'Ivan Viripaev

Cela ressemble à un problème de mathématiques qu’on voudrait ne pas avoir à résoudre mais qui vous stimule tant le cortex qu’on finit par ne penser qu’à lui et par adorer le jeu cérébral qu’il met en place. Ivan Viripaev, qui est manifestement un esprit aussi brillant que pervers, prend comme ressort de sa pièce mi-évidente mi-mystérieuse la relation qui réunit deux couples partageant une vive amitié. Chacun se raconte et entrecroise son récit avec celui des autres. Tous évoquent leur vie depuis qu’ils se connaissent jusqu’à… leur mort. L’un des maris proclame qu’il n’a jamais aimé que sa femme quand l’autre affirme qu’il a toujours rêvé de l’épouse de son ami et qu’il a d’ailleurs eu avec elle la complicité sexuelle espérée. Les femmes revendiquent leur fidélité ou leur infidélité, dans le cadre de cette amitié à quatre (car on ne sort pas de ce quatuor, aucun autre personnage n’intervient, ni sur la scène, ni dans les têtes). Mais toutes ces affirmations semblent tantôt se recouper tantôt se contredire. Où est la vérité, celle de chacun et celle du groupe d’amis ? Tout est puzzle et tout est vertige. Le spectateur n’a pas droit à l’inattention, car l’intérêt n’est total que si l’on met en parallèle les informations et si l’on arrive à sa propre analyse.
Le metteur en scène bulgare Galin Stoev avait tiré du texte de Viripaev un spectacle très éclaté, car il disposait de beaucoup de jeunes comédiens de l’ESAD (l’école de la ville de Paris) pour représenter la multiplicité des situations. Julia Vidit, elle, monte véritablement la pièce au plus près du texte, puisque tout se déroule sans visualisation extérieure : les quatre comédiens sont porteurs de tous les mots et de tous les événements. Julia Vidit a réduit les deux domiciles conjugaux à deux lits, placés dans un espace encadré de parois bleues – bleu nuit, piqueté de points scintillants, à l’image du cosmos. Les acteurs vont et viennent, s’étreignent parfois mais sont le plus souvent dans la solitude de la confession. Claire Cahen, Laurent Charpentier, Barthélémy Meridjen et Lisa Pajon échappent cependant à l’esprit de sérieux et démonstration. Ils sont joueurs comme le sont le texte et la mise en scène. Quand il faut être dans la passion, ils le sont mais leurs mines, leurs gestes, leurs bonds malicieux respirent la drôlerie bizarre et trouble de ces dialogues en perpétuelle contradiction. Ils expriment très bien cette implication des personnages dans une réalité très précise et leur envol dans un domaine très mental où les obsessions s’octroient le droit de tout remodeler. L’on est en Russie (bien que cela ne soit jamais précisé) mais le spectacle peut faire penser aux pièces de Pinter, où la vérité est toujours vacillante, ou à celles d’Ayckbourn (Smoking/ No smoking), où les certitudes opposées ont un poids égal d’authenticité. L’exercice proposé par Viripaev est fort difficile à réussir. L’organisation théâtrale qu’en donne Julia Vidit et l’interprétation de ses comédiens relèvent parfaitement le défi avec une rectitude gémométrique qui n’a d’égale que la sinuosité de l’humour mis en œuvre.

Illusions d’ Ivan Viripaev, mise en scène de Julia Vidit, texte traduit du russe par Tania Moguilevskaia et Gilles Morel (Ed. Solitaires Intempestifs, 2015), dramaturgie de Guillaume Cayet, scénographie de Thibaut Fack, lumières de Nathalie Perrier,
son de Bernard Valléry, costumes de Fanny Brouste, avec Claire Cahen, Laurent Charpentier, Barthélémy Meridjen et Lisa Pajon.

Théâtre 71, Malakoff, tél. : 01 55 48 91 00. (Durée : 1 h 50).

Photo Elisabeth Carecchio.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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