Espia a una mujer que se mata de Daniel Veronese
Une mise en scène peu convaincante
L’Argentin Daniel Veronese s’est approprié Oncle Vania de Tchekhov d’une bien belle manière. Il l’a dépouillé de la mythologie construite autour de l’idée de cette société finissante en crise et de ces personnages figés dans un désir d’avenir auquel ils ne croient pas. Il prend à revers la languissante mélancolie qui caractérise nombre de mises en scène, supprime les « à-côtés » du texte pour ne retenir que la violence plus ou moins directe des relations entre les personnages jusqu’à ce qu’elle éclate à la fin, émaillant la pièce de répliques des Bonnes de Jean Genêt qui surlignent les rapports de force et mettent en relief la réflexion sur les rapports du théâtre et de la vie. Dans sa mise en scène exceptionnelle (qu’on a pu voir en 2009 à la MC 93 à Bobigny), très physique, il avait confiné les personnages dans les 5m2 d’une cuisine où la promiscuité révélait les tensions et leur enfermement mental. Le titre étrange est la seconde partie d’une phrase dont la première partie était le titre d’un précédent travail autour des Trois sœurs : Un hombre que se ahoga (Un homme qui étouffe …) Espia a una mujer que se mata (… espionne une femme qui se tue), une phrase qui, selon l’auteur, sonne très tchekhovienne. Il est sûre que chez Tchekhov l’air est souvent irrespirable.
La mise en scène de Guy Delamotte se dilue dans une scénographie éclatée et ouverte. On ne sait pas très bien si on est à l’extérieur ou dans un intérieur déconstruit, ni pourquoi ce jukebox dans un coin, clin d’œil à la nostalgie sans grande portée. La direction d’acteurs n’est pas convaincante. Pourquoi faire de Teleguine, propriétaire terrien ruiné, un travesti sous prétexte qu’il est question des Bonnes ? Pourquoi Serebriakov (Philippe Mercier), critique théâtral prétentieux, égoïste et mondain, propriétaire du domaine géré par Vania (François Frapier), le frère de son ex-femme décédée et par sa fille Sonia (Marion Lubat), apparaît-il ici comme un être veule et accablé ? Pourquoi sa compagne Elena (Véro Dahuron) est-elle une personne vulgaire ? Tchekhov ne jugeait pas ses personnages, aussi englués soient-ils dans leur médiocrité, Veronese non plus. Le spectacle de Delamotte ne traduit pas la force et la pertinence du travail de Veronese sur cette pièce, véritable condensé de tensions, qui parle de décadence sociale, de misère humaine, de désir et de désespoir, d’art et de politique.
Espia a una mujer que se mata de Daniele Veronese, d’après Oncle Vania de Anton Tchekhov ; traduction Françoise Thanas ; mise en scène Guy Delamotte ; décor, Jean Haas ; costumes, Cidalia D Costa ; lumières, Fabrice Fontal. Avec Martine Bertrand, Véro Dahuron, Marion Lubat, Alain DHaeyer, François Frapier, David Jeanne-Comello, Philippe Mercier. Au théâtre de l’Epée de bois. Jusqu’au 23 novembre, du lundi au mercredi à 20h30. Durée : 1h35.
©Tristan Jeanne-Valès