Disgrâce d’après J.M. Coetze
Une adaptation sans grâce
Dans Disgrâce, J.M. Coetze, prix Nobel de littérature en 2003, dresse un tableau très pessimiste de l’Afrique du Sud de l’après apartheid. Dans ce roman complexe pas de parti pris tranché, beaucoup de non-dits, d’ellipses qui laissent le loisir au lecteur d’interpréter. Il est organisé en deux parties distinctes qui entrent en dialogue. Coetze raconte l’histoire d’une déchéance qui conduit peut-être à une rédemption, une renaissance, mais rien n’est explicite. David Lurie, professeur de littérature à l’université du Cap, 52 ans, divorcé deux fois, une fille qui vit à la campagne, est rattrapé par le démon de midi. Jusque-là il se contentait de relations sexuelles hebdomadaires avec Soraya, une prostituée, mais un jour il jette son dévolu sur une de ses étudiantes dont on ne comprend pas très bien jusqu’à quel point elle est consentante. Cela tourne mal, elle porte plainte et le professeur est sommé de comparaître devant ses pairs et la direction. Il aurait pu rester à l’université en acceptant la sanction prononcée contre lui mais, très orgueilleux, voire arrogant, il préfère tout quitter et rejoint sa fille. Lucy vit toute seule dans une pauvre ferme dans une région de grande insécurité. Tout sépare le père et la fille mais il s’installe quand même chez elle. Une nuit, trois hommes débarquent, violent Lucy, mettent le feu à la maison, se comportent en barbares. Enceinte, elle refuse de porter plainte et de se faire avorter car elle considère que c’est peut-être le prix à payer pour être ici. Son père d’abord ne comprend pas puis, peu à peu s’inscrit dans ce contexte rude et cru, se plie à des tâches subalternes, devient « l’homme aux chiens », assistant de Dev qui les euthanasie. David Lurie a parcouru un dur chemin de croix depuis la bulle universitaire où il vivait à l’abri du monde dans la fréquentation de ses chers poètes romantiques jusqu’à la ferme de sa fille où l’a rattrapé la dure réalité de la vie ; un parcours douloureux qui l’a transformé sans aucun doute. Coetze brosse le portrait d’une société violente qui n’a rien résolu de ses problèmes sociaux et raciaux.
Jean-Pierre Baro n’a pas su transcrire la substance du roman ; peut-être parce que trop bouleversé par cette lecture, il n’a pas réussi à s’en emparer vraiment ; il en a fait un spectacle d’un style très ordinaire, simplificateur, truffé d’effets inappropriés et inopérants. Durant la première partie, Lurie, la prostituée et l’étudiante s’habillent et se déshabillent, s’ébattent vaguement. Tout cela est expéditif et superficiel. Ensuite, les événements sont relatés au premier degré et rien n’affleure de la complexité de la relation père/fille ni de l’évolution du père, ni des indices de malaises sociaux aussi bien à l’université qu’à la campagne dans une société qui n’en finit pas de trembler sur ses bases. Il ne reste qu’à (re)lire le roman pour en retrouver toute la singularité parfois dérangeante.
Disgrâce d’après J.M Coetze, mise en scène Jean-Pierre Baro ; traduction Catherine Lauga du Plesais ; adpatation Pascal Kirsch et Jean-Pierre Baro ; lumières Bruno Brinas ; scénographie, mathieu Lorry Dupuy ; son, Loïc Le Roux ; costumes, Majan Pochard. Avec Jacques Allaire, Fargass Assandé, Pierre Baux, Simon Bellouard, Cécile Coustillac, Pauline Arigot, Sophie Richelieu, Mireille Roussel. Au théâtre de la Colline du 3 novembre au 3 décembre à 20h. Durée : 2h20.
Photo : Simon Gosselin