Andromaque de Racine par Yves Beaunesne

L’incapacité à vivre des enfants des héros légendaires

Andromaque de Racine par Yves Beaunesne

Après dix ans de guerre, Troie est vaincue dans le massacre ; le retour des héros est désastreux. La nouvelle génération de fils et filles de pères et mères légendaires, tous morts, est hantée par ceux-ci. Les Grecs vainqueurs tiennent captifs la veuve d’Hector, Andromaque et son fils Astyanax.

Hector, mari d’Andromaque, a été tué par Achille, père de Pyrrhus. Hermione avait d’abord été promise en mariage à Pyrrhus pour obtenir son alliance dans cette guerre. Du coup, Oreste qui l’aimait, s’en est montré bouleversé, obsédé par cet amour perdu. Andromaque, hantée par le souvenir d’Hector, a élevé à sa mémoire un cénotaphe. Enfin, Astyanax est le symbole vivant de la guerre passée dont les conséquences n’en finissent pas de peser sur le présent : il doit survivre.

Ce poids du passé représente la fatalité : le destin de chaque personnage est pré-déterminé par une logique qui le dépasse et contre laquelle sa raison et sa volonté ne peuvent décidément plus rien. Soit le destin d’une humanité perdue contre les puissances sur-humaines de la mythologie.

Andromaque et Astyanax sont captifs en Epire chez Pyrrhus, où se nouent des sentiments à sens unique : Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector, mort.
Le premier chef-d’oeuvre racinien n’oppose que quatre personnages où prédomine la parole féminine. La folie emportera Hermione et Oreste, et la pièce se refermera sur la « pureté ».

Andromaque de Racine révèle une œuvre qui n’est pas une méditation mélancolique sur l’amour et sur la perte, mais une reconnaissance de la possibilité de rester en vie au milieu de forces cruelles et brutales. Il est plus question d’affirmation de soi que d’amour, selon Yves Beaunesne, qui évoque l’insurrection, la rébellion, la révolte intérieure, au cœur de ce théâtre. Obsédés par eux-mêmes et par leurs parents légendaires, ces jeunes héritiers oublient Astyanax, le fils.

La mise en scène tendue déploie son raffinement, entre violence et dépouillement, animation d’une gestuelle contrôlée avant que les héros ne s’abandonnent peu à peu sortent de leurs gonds.
La scénographie est somptueuse, en référence lointaine à l’esthétique ottomane du palais de Topkapi - verrières et grilles de baies vitrées aux jeux de transparence - ombres et lumières. Sur des musiques qu’on croirait traditionnelles aux accents balkaniques, s’élèvent les paroles des chants de l’Andromaque d’Euripide, chantées en grec ancien et mises en musique par Camille Rocailleux.

Andromaque a la noblesse naturelle de Milena Csergo qui allie grâce et dignité de maintien, dans l’assurance de ses propos et de sa vérité. Et Céphise, la confidente, interprétée par Johanna Bonnet-Cortès, est à l’écoute fidèle et active de cette maîtresse respectée. Hermione porte la fraîcheur de Lou Chauvain, ses emportements juvéniles, ses revirements et jusqu’à ses excès vocaux ; sa confidente Cléone est jouée par la facétieuse Mathilde de Montpeyroux.

Les jeunes gens, Oreste et Pyrrhus, incarnés respectivement par Adrien Letartre et Léopold Terlinden, représentent tous deux la fulgurance d’une jeunesse convaincue mais qui n’en réfléchit pas moins, conscients des valeurs dont ils sont les héritiers - fidélité et égards à leurs aînés.

Et Phoenix, le gouverneur de Pyrrhus - Christian Crahay -, comme Pylade, l’ami d’Oreste - Jean-Claude Drouot - sont impuissants à faire plier leur jeune maître et à le soumettre à un destin le moins rude : ils doivent consentir à reconnaître en l’observant la folle du sentiment amoureux.

Conflits intimes et politiques, silence et fureur, la tragédie s’amuse de l’alexandrin et lui donne vie.

Andromaque de Jean Racine, mise en scène de Yves Beaunesne, dramaturgie Marion Bernède, scénographie Damien Caille-Perret, lumières Renaud Ceulemans, 
création musicale Camille Rocailleux, costumes Jean-Daniel Vuillermoz, direction musicale et cheffe de chant Julie Delbart, vidéo Emeric Adrian, travail chorégraphique Émilie Guillaume, maquillages & coiffures Catherine Bénard. Avec les acteurs et instrumentistes Sophie Mousel (piano) ou Milena Csergo, Lou Chauvain (violon), Johanna Bonnet-Cortès (accordéon), Mathilde de Montpeyroux (violoncelle), Léopold Terlinden (saxophone), Adrien Letartre, Christian Crahay, Jean-Claude Drouot et à l’écran Niccolo Wagner. Spectacle vu à L’Azimut, Théâtre La Piscine à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine).
Crédit
photo : Guy Delahaye


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Véronique Hotte

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