jusqu’au 12 mars 2016

What if They Went to Moscow ?(Et si elles y allaient, à Moscou ?) de Christiane Jatahy

Une proposition ambitieuse

What if They Went to Moscow ?(Et si elles y allaient, à Moscou ?) de Christiane Jatahy

A partir du cri d’Irina dans les Trois Sœurs de Tchekhov, « A Moscou », la brésilienne Christiane Jatahy a construit un spectacle hybride qui conjugue cinéma et théâtre pour explorer la thématique du temps, centrale dans l’œuvre de Tchekhov. Plus qu’un dispositif ingénieux, la confrontation des points de vue cinématographique et théâtral illustre très concrètement la spécificité de chacun de ces arts et au-delà interroge les frontières entre réalité et fiction et le rapport que nous entretenons avec les images et les personnages à l’écran ou sur scène.
La moitié du public voit la pièce de théâtre filmée en direct par un cameraman ou les acteurs eux-mêmes tandis que, dans le même temps, l’autre moitié regarde le film projeté en temps réel. A l’entracte on inverse, et peu importe l’ordre. Certains aspects de l’un ou l’autre leur sont spécifiques mais très peu. Côté théâtre, Christiane Jatahy a mis à bas le quatrième mur et s’amuse de l’interaction avec les spectateurs dont certains invités sur scène expérimentent une forme d’indécision quand à l’identification de l’espace dans lequel ils se trouvent, réel ou fictif.
L’expérience ne vaut vraiment que si l’on voit les deux parties car elles sont complémentaires et pourtant c’est aussi la limite du projet qui exige beaucoup du spectateur. Les comédiens reprennent exactement le même spectacle d’une fois sur l’autre mais pourtant le spectateur récolte des informations très différentes sur l’histoire et les protagonistes. Côté théâtre, la présence physique des acteurs noue une véritable complicité avec le public, accentuée par les interactions mais la distanciation fonctionne parce que la pièce est aussi le tournage d’un film avec techniciens, mise en place des décors. Plus qu’une mise en abime, c’est une relation réciproque qui révèle les procédés du cinéma qui peut jouer sur le naturalisme, les gros plans et les cadrages expressifs, la caméra subjective, qui met en lumière la force de la théâtralité.

Christiane Jatahy ne prétend pas mettre en scène Tchekhov, pourtant on reconnaît ces trois sœurs admirablement interprétées par Isabel Teixera (l’aînée Olga, vieillissante et maternelle), Stella Rabello (Maria, la puînée, ardente, amoureuse, ironique et souvent agressive par désespoir) et Julia Bernat (Irina la cadette, gai comme un pinson, radieuse et pétillante, du moins au début). C’est elle qui tente désespérément d’entraîner tout le monde à Moscou pour s’arracher à la gangue de l’inertie générale de cette petite ville de province, pour tenter enfin de changer quelque chose au cours des choses de la vie des trois orphelines. Si la plupart des personnages ont été éliminés dans l’adaptation, quelques-uns apparaissent fugitivement (le frère et musicien Andréi ; Natacha, la femme d’Andréi est évoquée à travers l’hostilité des sœurs à son égard ; Verchinine, militaire en garnison qui représente leur seule société ; il est aussi question de l’amoureux d’Irina, Soliony et du duel qui l’oppose tragiquement à celui qui devait emmener Irina à Moscou, réduisant à néant ses espoirs). Situé dans l’ici et maintenant du temps de la représentation, What if They Went to Moscow ? (mais pourquoi un titre en anglais et pas en brésilien ?) déploie la problématique du changement (« changer, c’est mourir un peu ») à travers le destin personnel des trois sœurs. La pièce de Tchekhov s’achève sur le constat d’Olga « il faut bien vivre » ; le spectacle conclut en demandant « comment faire pour changer » quelque chose de sa propre vie, et du monde. Une aventure artistique intéressante qui doit beaucoup aux excellentes comédiennes grâce auxquelles le spectacle dépasse le cadre d’une simple expérience.

What if They Went to Moscow ?(Et si elles y allaient, à Moscou ?), d’après Les Trois Sœurs de Anton Tchekhov, un spectacle de Christiane Jatahy avec Isabel Teixeira, Julia Bernat, Stella Rabello ; adaptation, scénario et montage, Christiane Jatahy ; coopération au scénario Isabel Teixeira, Julia Bernat, Stella Rabello et Paulo Camacho ; photographie et vidéo live Paulo Camach ; décors Christiane Jatahy et Marcelo Lipiani ; costumes Antonio Medeiros et Tatiana Rodrigues ; musique Domenico Lancelotti, lumières, Paul Camacho et Alessandro Boschini ; conception sonore, Denilson Campos, musicien et technicien vidéo, Felipe Norkus ; ingénieur du son ; Pedro Montano.

Au théâtre de la colline du 1er au 12 Mars 2016, du mardi au samedi à 19h30 et le dimanche à 15h30. spectacle en portugais surtitré en français.
durée : spectacle en 2 parties, théâtre+cinéma dans la même soirée (ou inversement) : 1ère partie 1h30 / entracte 40 min / 2ème partie 1h30.

© Aline Macedo/Milena Abreu

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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