Richard III de William Shakespeare

Du bruit et de la fureur

Richard III de William Shakespeare

Chez Thomas Jolly le talent n’attend pas le nombre des années. Avec sa mise en scène fleuve d’Henri VI, parfaitement maîtrisée, il nous a transporté dans son univers juvénile habilement nourri de références culturelles générationnelles ; il a fait souffler un esprit de troupe défendu par une équipe de choc et nous a embarqués dans un tourbillon d’images, de surprises, d’inventions, de folles embardées dans des registres variés. Il a mené à bien l’entreprise pharamineuse d’un véritable théâtre populaire exigeant. C’est dire si on piaffait d’impatience en attendant la suite, ce Richard III amorcé à la fin de Henri VI. Malheureusement l’attente a été déçue comme si Thomas Jolly avait épuisé ses ressources et son inspiration dans l’aventure au long cours d’Henry VI. Cela commence par un prologue compliqué censé exposer les épisodes précédents (« previously » disent les séries américaines) où on se noie d’ennui. Thomas Jolly interprète lui-même Richard III, la créature monstrueuse de la famille York qui, grâce à son intelligence supérieure, mettra le royaume d’Angleterre à terre jusqu’à y perdre lui-même la vie. Au terme d’une terrible bataille, Richard sera tué par Henri Tudor, futur Henri VII qui inaugurera une période de paix. Depuis la début de la violente guerre des Deux Roses qui opposa les York aux Lancastre, l’Angleterre est à feu et à sang, Richard III en s’emparant du trône, achèvera la ruine du pays et précipitera sa fin.

Parce que la nature l’a fait difforme, il a juré de se venger sur les hommes de son infortune qu’il tourne en haine. Boiteux, grossièrement appareillé, torse, bossu, affligé d’une voix nasillarde, il en fait un gringalet, un oiseau de mauvais augure, vêtu d’un ridicule manteau blanc emplumé lors de son couronnement, et une rock star pailletée quand à la fin de la première partie la musique se déchaîne comme pour un concert électro-rock quelque peu racoleur, un procédé qu’on n’attendait pas de sa part. C’est comme s’il était tombé dans les pièges subtilement évités dans le spectacle précédent. On ne croit pas à ce Richard chétif qui séduit Lady Anne sur le catafalque de son époux encore chaud qu’il a assassiné comme il a tué Henry VI, le père de la princesse. Dans l’extraordinaire mise en scène de Thomas Ostermeier (Avignon 2015), cette scène acquiert une intensité sidérante grâce au talent de l’exceptionnel Lars Eidinger et de Jenny König qui rendent crédible l’invraisemblable. Comment cette femme qui a perdu mari et père par la main de celui qui veut la conquérir peut-elle succomber ? Comme sous l’effet d’un sortilège, on oublie la monstruosité du personnage et on perçoit la lente et inéluctable reddition d’Anne, positivement sous le charme.

A n’en pas douter, Thomas Jolly souffre de la comparaison à tous égards, mais pourtant, il faut lui reconnaître intact son sens de l’espace et des effets très spéciaux comme ces lasers de lumière blafarde qui sculptent l’espace noir dans des mouvements saccadés accompagnés de bruitages furtifs qui figurent une barrière qui se lève, une lourde porte qui se ferme, si bien que ces simples traits de lumière font naître de véritable images. C’est très fort. Allusion à la Guerre des étoiles, des radars animés montent et descendent, à la fois caméras de surveillance et D2 R2 le petit robot de la Guerre des étoiles (d’ailleurs en marge du spectacle, une des propositions ludiques sur l’histoire de Richard III s’intitule R3M3). De bout en bout plongé dans la pénombre, ce spectacle en noir et blanc souffre du manque d’invention, joue du rapport entre plateau et avant-scène sur le même mode ; les comédiens semblent eux-mêmes manquer de repères, leur voix sont parfois couvertes par la musique, parfois trop hystériques. Le metteur en scène aurait peut-être dû couper ce texte dense qui semble le dépasser. Perdu dans la forêt des mots, ou trop occupé à jongler avec les effets visuels, il n’a pas pu véritablement dégager de lignes de force telle que la question centrale du pouvoir et du mal qui devient ici anecdotique. Cependant, on ne saurait sous-estimer le talent de Thomas Jolly qui saura à nouveau nous offrir d’inoubliables moments de théâtre.

Richard III de William Shakespeare, traduction Jean-Michel Desprats, mise en scène et scénographie Thomas Jolly. Avec Damien Avice, Mohand Azzoug, Etienne Baret, Bruno Bayeux, Nathan Bernat, Alexandre Dain, Flora Diguet, Anne Dupuis, Émeline Frémont, Damien Gabriac, Thomas Germaine, Thomas Jolly, François-Xavier Phan, Charline Porrone, Fabienne Rivier. Lumière, François Maillot, Antoine Travert et Thomas Jolly. Musiques originales et création son Clément Mirguet. Costumes Sylvette Dequest. Parure animale de Richard III Sylvain Wavrant. Au théâtre de l’Odéon à 19h30. Durée : 4h30 avec entracte.

© Nicolas Joubard

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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