RE ORSO de Marco Stroppa d’après Arrigo Boito

• Publié par Caroline Alexander
• 22 mai 2012
• Critiques
• Opéra & Classique
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Après Pascal Dusapin, Peter Eötvös, Georges Aperghis, Oscar Strasnoy, l’Opéra Comique poursuit son ouverture sur la création contemporaine avec le premier opéra du compositeur italien Marco Stroppa, 52 ans, familier de l’IRCAM (Institut de Recherche et Coordination Acoustique Musique) dont il fut un temps directeur de recherche. Pour sa première plongée dans l’univers de l’opéra Stroppa a choisi de transposer Re Orso, une fable à la fois fantastique et politique de l’italien Arrigo Boito (1842-1918), poète, compositeur et librettiste notamment de Verdi pour ses ultimes Otello et Falstaff.

C’est l’histoire d’un très vilain roi, roi Ours, roi des animaux et des hommes, régnant par la terreur sur la Crète avant l’an mil. Il viole, il tue, il massacre et terrorise en toute impunité jusqu’à ce qu’un drôle de ver de terre, vienne lui ronger les entrailles, la tête et - qui sait -, la conscience. Entre le lombric fureteur et le monarque sanguinaire le combat s’engage. Inégal, forcément. Le ver plie, se multiplie mais ne rompt pas. Le roi fracasse, se casse et meurt. Ils auront rencontré sur leur passage un Trouvère, un bouffon, un magicien, des filles jolies…

Boito raconte leurs aventures en vers flamboyants, une écriture que les auteurs du livret, Catherine Ailloud-Nicolas pour le texte et Giordano Ferrari pour le rythme, ont conservée à l’usage de Marco Stroppa. Qui en a tiré une formidable machinerie sonore que manipulent les onze instrumentistes de l’Ensemble Intercontemporain, la crème des orchestres des musiques d’aujourd’hui, sous la direction de la charismatique finlandaise Susanna Mälkki. Prolongés, épaulés, illustrés par les magies acoustiques de l’IRCAM, ses haut-parleurs, ses systèmes de canaux électroniques, son totem acoustique, son accordéon parlant et son piano robotisé. Un véritable cinéma sonore qui pourrait se situer entre Tim Burton et une série de BD mangas pour grands enfants, un livre d’images à écouter, à frémir, à rire…

Corrida métaphysique

Mis en scène au cordeau par Richard Brunel, quatre chanteurs, quatre comédiens véritables caméléons, donnent vie à ce charivari dans les décors à surprises et les costumes bouffon de Bruno Lavenère. Alexander Kravets, ténor russe, se charge en nonchalance du Trouvère qui chante accompagné de ce piano sans pianiste capable de scander en soliste les battements d’un cœur qui s’éteint, la pulpeuse soprano américaine Marisol Montalvo se révolte en épouse obligée, violée, saignée, Monica Bacelli, mezzo soprano aussi agile dans l’ancien (Monteverdi) que le contemporain (Berio) incarne le Ver, la larve parasite qui empoisonne la vie du tyran, magnétique bestiole en jupe tachée, dont les cris, roucoulades et feulements excitent le tyran à la manière du matador dans l’arène d’une corrida métaphysique.

Orso, le fou de pouvoir par lequel le malheur est descendu sur le royaume a la dégaine de voyou et les aigus acidulés du contre-ténor Rodrigo Ferreira. Torse dénudé, bottes de motard et jupette de collégienne, il est le mal absolu, celui qui s’arroge tous les droits, le dictateur dément dont la folie gagne son peuple… Un peuple soudain figuré par les musiciens qui jaillissent de la fosse comme montés sur ressorts, montent sur scène, s’y démènent en délire avant de s’écrouler.

Une réflexion joyeusement terrifiante sur les ivresses et les abus du pouvoir. Un grand moment de théâtre !

Re Orso de Marco Stroppa d’après la fable d’Arrigo Boito, livret de Catherine Aillaud-Nicolas et Giordano Ferrari. Ensemble Intercontemporain, direction Susanna Mälkki, informatique musicale IRCAM Carlo Laurenzi ; Jean Bresson, Sylvain Cadars, mise en scène Richard Brunel, décors et costumes Bruno de Lavenère, lumières Laurent Castaingt. Avec Rodrigo Ferreira, Monica Bacelli, Marisol Montalvo, Alexander Kravets, Geoffrey Carey, Piera Formenti, Daniel Carraz, Cyril Anrep, Anthony Millet.

Paris – Opéra Comique, les 19, 21, 22 mai à 20h

0825 01 01 23 – www.opera-comique.com

Photos E. Carecchio