Pit de Bobbi J. Smith et Or Schraiber
Le Ballet de l’Opéra de Paris fait merveille dans cette pièce contemporaine sur un concerto de Sibelius
Incroyable ductilité du Ballet de l’Opéra de Paris, capable de s’adapter avec enthousiasme aux chorégraphes les plus divers, venus de tous les horizons de la planète. Après Pina Bausch cet hiver et Balanchine en février, la troupe en fournit une nouvelle et éclatante démonstration ce printemps avec Pit de Bobbi Jene Smith et Or Schraiber, jeunes chorégraphes qui entrent au répertoire de l’Opéra Garnier. Spectacle fulgurant, très créatif et plein de surprises, Pit, quoiqu’appartenant au registre du théâtre dansé, n’est jamais convenu ni attendu.
D’origine américaine, Bobbi Jene Smith rejoint la Batsheva Dance Company de Tel Aviv en 2005. Elle y travaille avec Or Schraiber, avec qui elle forme un couple à la scène comme à la ville, sous la direction d’Ohad Naharin, l’inventeur de la Gaga dance (langage corporel proche de la convulsion). Œuvre collective dont la genèse a impliqué aussi bien les danseurs que les musiciens, Pit, pièce incandescente dont la violence le dispute à la sensualité, entremêle le Concerto pour violon de Sibelius (1905) et une création musicale orginale de Celeste Oram.
Intervenant avant et entre les trois mouvements du Concerto, la musique contemporaine produit par sa dissonance un contraste saisissant avec celui-ci. Mais l’effet est lissé par la direction très maîtrisée de la jeune cheffe d’orchestre portugaise Joana Carneiro qui mène dans la fosse l’Orchestre de l’Opéra, lui aussi très ductile. Pour sa part, le premier violon solo de l’Opéra, Petteri Iivonen, monte sur la scène comme partie prenante du spectacle. Avec, lui aussi, sa part de surprise : lors d’une pause, il troque son violon contre un fusil et abat de gros oiseaux qui tombent bruyamment sur le plateau, victimes collatérales du jeu de massacre qui se déroule sur scène.
Corps-à-corps avec la musique
En anglais, Pit veut dire « fosse » (d’orchestre où se joue le concerto de Sibelius mais aussi gouffre intérieur où chacun enfouit ses secrets) ou encore fosse commune où sont jetés les cadavres. Oscillant entre les deux pôles du collectif et de l’individuel, entre harmonie et chaos, la chorégraphie organise un corps à corps avec la musique, convoquant un effectif important d’une vingtaine d’interprètes toujours présents sur le plateau. Sans rôle soliste majeur mais en misant sur la dynamique de groupe très forte dans la troupe. Une estrade légèrement surélevée occupe presque tout l’immense plateau de l’Opéra Garnier sans coulisses, avec pour tout décor l’impressionnant appareillage métallique du fond de scène laissé à nu, drapé dans un bel éclairage pastel.
Les interprètes en habit de ville noir et blanc chic sont rassemblés dans un angle au pied de l’estrade comme des spectateurs d’une pièce à venir. Petit à petit, ils entrent dans la danse chacun à leur tour ou par groupe. À partir de quoi, les mouvements d’ensemble, les duos et les solos se confondent et s’enchaînent avec vélocité, et l’on ne sait jamais s’ils s’enlacent ou se battent, s’ils s’aiment ou se déchirent ou peut-être les deux en même temps, dans des relations toujours problématiques entre érotisme et confrontation, guerre et paix.
À l’invitation de la musique déchirante distillée par le violon, les danseurs se cherchent, se lancent dans une danse traditionnelle d’Europe centrale, ou encore se disputent des mottes de terre qu’ils jettent sur le cadavre d’un danseur. Autant de séquences qui semblent des précipités de la vraie vie. Avec en partage une folle énergie qui ne faiblit pas au long de spectacle d’une extrême intensité.
Photo Yonathan Kellerman
Jusqu’au 30 mars, www.operadeparis.fr
Chorégraphie : Bobbi Jene Smith, Or Schraiber. Décors : Christian Friedländer. Costumes : ALAÏA by Pieter Mulier. Lumières : John Torres. Direction musicale : Joana Carneiro.
Avec le Corps de ballet et l’Orchestre de l’Opéra national de Paris.