Orphelins
La question de l’autre
La pièce de l’Anglais Dennis Kelly a la forme d’un film de la série noire au service d’un propos d’ordre éthique de toute première importance : doit-on faire passer les liens familiaux avant la responsabilité civique ?
N’entendons-nous pas souvent dire qu’une mère serait prête à tout pour sauver son enfant même coupable du pire des crimes ? La pièce est un huis-clos à trois personnages : un couple de classe moyenne, tranquille, Danny et Helen, et un élément perturbateur, le frère d’Helen, Liam, un homme jeune, déclassé, sans repères, ingérable, dont on comprend au fil de la pièce, qu’il n’a cessé de gâcher la vie de sa sœur. Il débarque chez le couple les bras et le tee-shirt couverts de sang et ce n’est qu’après un chapelet de mensonges qu’il finit par avouer son crime, dont il est vraiment désolé. Probablement influencé par un copain néo-nazi, il a pourchassé un Pakistanais, l’a battu, tailladé au couteau, torturé et laissé pour mort, attaché sur une planche, sans raison. Il sait qu’il a la protection de sa sœur ; ils ont des liens particuliers car ils sont orphelins ; solidaire, elle ne peut imaginer de le livrer à la justice malgré tous les ressentiments qu’elle nourrit à son égard. Elle somme son mari d’accepter d’être complice du projet qu’elle a imaginé pour innocenter son frère mais il résiste au nom de sa conscience morale, pour finalement céder car il ne supporte pas qu’elle le traite de lâche. Cet acte ultime commis contre sa volonté sera parfaitement destructeur.
Très bien construite, la pièce ménage le suspens à travers une dialectique qui confronte les points de vue selon que l’on se situe du côté de l’affect ou de la morale. La mise en scène efficace d’Arnaud Anckaert maintient la tension d’un bout à l’autre et le spectacle (créé en 2011) est servi par un trio d’acteurs impeccables. Fabrice Gaillard est Liam, marginal, paumé, nerveux, hypersensible, maladroit, qui aimerait tellement être quelqu’un d’autre ; Valérie Marinese interprète sa sœur Helen, déchirée par des tentations contradictoires. Cela donne un être en rupture permanente avec elle-même. Entre les deux, Danny semble représenter l’équilibre, le sang-froid, jusqu’à ce qu’Helen parvienne à le déstabiliser. Un spectacle jamais didactique qui pose très concrètement à travers un fait divers, quelques-unes des questions cruciales (le rapport à l’autre, la peur de l’étranger, l’individualisme, le sens de la responsabilité civique, etc.) qui se posent à notre société contemporaine.
Orphelins de Dennis Kelly, traduction Philippe Lemoine ; mise en scène Arnaud Anckaert ; lumières, Olivier Floury ; son, Juliette Galamez ; costumes, Alexandra Charles ; sculpture, Jacques-Olivier Molon ; avec Valérie Marinese, Fabrice Gaillard, François Godard. Présence Pasteur à 17h45 jusqu’au 28 juillet. . Relâche le 23 juillet. Rés : 04 32 74 18 54.
Texte publié à L’Arche éditeur.