Les Ondes magnétique de David Lescot
Une tranche d’histoire
Qui aujourd’hui se souvient du boum des radios libres, du combat mené et des enjeux associés ? C’était dans les années 1980 ; les premières radios « pirates » ont vu le jour en France en 1977 (Azur 102, Radio Continentale, Radio Verte Paris, Radio Verte Fessenheim, Lorraine cœur d’acier…) mais le phénomène avait débuté en Europe dans les années 1960. On ne se rappelle plus combien les médias de l’époque étaient soumis à la censure gouvernementale. Il existe encore des fiches à l’INA portant la mention « censuré ». Avant les années 1980, le monopole d’État était insidieux ; il ne s’agissait pas d’une censure telle qu’on peut en voir sous des dictatures mais d’une instrumentalisation des médias au service de l’Etat si bien orchestrée qu’elle pouvait passer inaperçue.
Les radios « pirates » sont nées en clandestinité, dans des appartements privés, des sous-sols, des garages ; leur combat pour la liberté d’expression était politique. Elles ont été victimes de descentes de police, de saisies violentes. En 1982 le gouvernement Mitterrand vote une loi sur l’audiovisuel mettant fin au monopole d’État et autorisant les radios libres sur la bande FM. C’est une explosion de nouveaux émetteurs. L’euphorie est de courte durée car en quelques années des radios libres disparaissent quand leur philosophie éditoriale était trop intègre et les autres deviennent des radios commerciales accueillant les publicités, ou des radios locales de courte portée sur la fréquence des ondes moyennes. Au-delà des dérives, ce combat a fait sauter durablement le verrou du monopole d’État et ce n’est pas une petite victoire.
Des radios « pirates » aux radios libres, c’est l’histoire d’une époque que raconte David Lescot, du rêve suscité par l’élection de Mitterrand en 1981 jusqu’à la bascule de l’orientation économique et politique du gouvernement en 1983 qui en a déçu plus d’un. Le spectacle commence dans l’effervescence d’un studio de radio bricolé de bric et de broc ; les pieds de micro sont des bouteilles, la fréquence est perpétuellement brouillée par des émetteurs concurrents, on est aux aguets, toujours prêts à planquer le matériel au moindre bruit évoquant une descente de police. Les discussions politiques sont animées et parfois vaseuses. Costumes d’époque, matériels d’époque, le plateau déborde de signes, entre documentaire plus vrai que nature et caricature. Et puis on passe un cran, avec un studio pro ; on s’étripe sur la question de savoir si on autorise la publicité. Enfin, la radio libre devient une entreprise en même temps que la politique gouvernementale se libéralise et revient sur les acquis de 1981.
Le projet de David Lescot est passionnant mais il le noie un peu avec une profusion de matière et court le risque de l’effet catalogue, du manque de structure. C’est compliqué de suggérer le bazar maîtrisé. L’évocation des nuits du Palace est trop fugitive pour faire sens, le chœur des ravis de la crèche qui s’extasie en voix off sur l’avènement du socialisme, et toutes ces petites lumières dans la nuit sont un peu trop… L’interprétation finale de la chanson de Jacques Higelin façon explication de texte est provocante et intéressante. L’analyse y voit un texte prémonitoire du tournant politique de 1983 ; c’est possible tant la chanson est loufoque et ambiguë ; c’est passablement de mauvaise foi à moins qu’on y voie le point de vue subjectif des déçus de la gauche de l’époque qui ont pu se sentir trahis. Pourquoi pas ?
Malgré ses excès et quelques longueurs, le spectacle diffuse de bonnes ondes, conjuguant politique, chanson, culture pop et humour et son sujet original est historiquement important ; il est servi avec entrain et talent par les formidables acteurs de la Comédie-Française pour lesquels David Lescot a écrit ce texte.
Les Ondes magnétiques de David Lescot, mise en scène David Lescot. Avec Sylvia Bergé, Alexandre Pavloff, Elsa Lepoivre, Christian Hecq, Nâzim Boudjenah, Jennifer Decker, Claire de la Rüe du Can, Yoann Gasiorowski. Scénographie, Alwyne de Dardet ; costumes, Marianne Delayre ; musique originale, Anthony Capelli et David Lescot. Au théâtre du Vieux colombier jusqu’au 1er juillet. Durée : 2h. Résa : 01 44 58 15 15.
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© Vincent Pontet