Les Cahiers Jean-Vilar

Molière par les siens

Les Cahiers Jean-Vilar

De simples feuillets conçus en 1981 comme moyen de communication de l’Association de la Maison Jean-Vilar fondée en 1969 par Paul et Melly Puaux, les Cahiers Jean-Vilar ont au fil du temps et avec la direction de Jacques Téphany changé quelque peu de nature. S’ils restent un outil de propagande de l’œuvre de la pensée de Jean Vilar, ils en usent comme point d’appui pour, à partir de thèmes, élargir le champ d’analyse et de réflexion autour de la création et de ses visées.

Molière à hauteur d’homme

Dans le présent numéro, il s’agit de mettre Molière sous les projecteurs de la diversité des imaginaires que son oeuvre suscite. Molière l’insubmersible qui aura fait cette saison l’objet de seize nouvelles mises en scène, dont deux Tartuffe, deux Misanthrope, deux Malade imaginaire , deux Fourberies de Scapin, donnant ainsi raison à Jean-Pierre Vincent pour qui « Molière est une valeur-refuge pour les gens de théâtre français » sans doute parce qu’il « visait à hauteur d’homme. Quand il regardait le ciel, c’était pour revenir vite sur terre pour lutter contre les curés, les églises, les appareils d’une religion qu’il avait sous les yeux. Pour notre aujourd’hui, il peut parler des crédulités de tous bords, du danger mortel des croyances » nous dit encore Jean-Pierre Vincent, s’expliquant dans la présente livraison des Cahiers Jean-Vilar sur Les Fourberies de Scapin qu’il mit en scène dans la Cour d’Honneur avec Daniel Auteuil, en 1990.

Ne pouvant « embrasser » tout Molière, l’approche se concentre sur celui d’Avignon avec un détour par le Théâtre La Bruyère où Jean Vilar fit découvrir au public Don Juan , qui n’avait pas été monté depuis 1933. Si après hésitations, il se décide à mettre en scène la pièce c’est, écrit-il dans ses notes, « que les idées auxquelles obéit Don Juan , esprit fort, doivent captiver et frapper le public contemporain ». Cet « esprit fort (qui) se bat pour mieux comprendre ou déchiffrer le mystère » sera avec L’Avare une des grandes œuvres du répertoire du TNP et du Festival d’Avignon.

De quelques mémorables spectacles

Si Molière, devancé de loin par Shakespeare, est toujours resté un peu marginal au Festival d’Avignon, sur ses traces nous n’en croisons pas moins quelques créateurs de forte empreinte. Tel Roger Planchon, pour qui « la lecture des chefs-d’œuvre –singulièrement celle de Tartuffe - exige des qualités de maître-nageur » et qui présenta en 1967 deux mémorables Molière, Tartuffe avec Michel Auclair et Jacques Debary, George Dandin magnifiquement incarné par Jean Bouise, inaugurant en même temps le tournant pris par Jean Vilar pour qui le Festival devait, pour garder sa vitalité, ouvrir tout à la fois le champ des créateurs et des disciplines, ce que nous rappelle le long article de Michel Bataillon.

Au fil des pages, on retrouve le plaisir de spectacles qui firent date parmi ceux-ci : L’Ecole des femmes mise en scène par Didier Bezace avec Agnès Sourdillon et Pierre Arditi pour qui « Arnolphe est un orphelin du monde et de la vie, ce qui revient au même », l’ Amphitryon de Vassiliev, le Tartuffe « islamisé » d’Ariane Mnouchkine, et l’on n’en finit pas de croiser Dom Juan dans la diversité de ses figures et de ses orthographes. Celui d’Andrzej Seweryn dans la Cour d’Honneur sous la direction de Jacques Lassalle, celui qui hantait Philippe Avron (Dom Juan 2000) et celui qui continue de trotter dans la tête de Philippe Caubère qui fut l’inoubliable Molière du film de Mnouchkine et pour qui certaines répliques de Dom Juan qu’il joua dans sa propre mise en scène, « sonnent comme les prémices du Siècle des Lumières et de la Révolution ».

Un ami régulièrement croisé en coulisses

Evoquer Molière et le Festival d’Avignon, c’est forcément y associer le nom d’Antoine Vitez qui fit évènement en 1979 en créant avec la même troupe de comédiens au summum de leur art, et dans le même décor, quatre pièces qui « font la clé de voûte de l’œuvre de Molière » : L’Ecole des femmes , Dom Juan, Tartuffe, Le Misanthrope . Le propos de Vitez était une manière de mise à jour des correspondances qui traversent les personnages, de suggérer par l’art du jeu et de la mise ne scène ce qui unit Alceste à Dom Juan et Dom Juan à Tartuffe, montrer « que c’est toujours le même homme avec la même femme. Molière, toujours, vieux tyran domestique amant juvénile ». Avec le programme, alors appelé « bible », les Cahiers publient le témoignage de Claude Lemaire, scénographe de cette hors normes et fabuleuse expérience. Le fil à dérouler, se souvient-elle, devait être « tout ce qui fait théâtre, à commencer par Molière lui-même dont l’œuvre ne parle que de théâtre » et pour elle, « suivre Molière, c’est aller à la rencontre d’un bonhomme qui était chef de troupe, comédien, entrepreneur, amoureux, visionnaire, journaliste, moraliste », et qui pensait le théâtre "de façon vivante et urgente, chaleureuse, en le faisant, comme le feront plus tard Godard et Truffaut pour le cinéma". Raison sans doute pour laquelle les gens de théâtre, comédiens ou metteurs en scène, l’aime tant et parlent de lui comme d’un ami croisé régulièrement en coulisses et ce que démontre pleinement cette édition des Cahiers Jean-Vilar.

Molière par les siens Cahiers Jean-Vilar n° 118, 10€

Maison Jean-Vilar, Montée Paul Puaux 8 rue Mons 84000 Avignon
tel 04 90 86 59 64
contact@maisonjeanvilar.org

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

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