Le Misanthrope de Molière

En noir et en couleurs

Le Misanthrope de Molière

Michel Fau pourrait faire sienne la maxime de ce vieux chef indien, que Cocteau aimait à reprendre à son compte, « Un peu trop, c’est juste assez pour moi ». Mais ce trop-là, où sur la scène du théâtre de l’Œuvre s’exalte l’artifice, s’ajuste comme une évidence à ce Misanthrope hors normes qui a troqué ses rubans verts pour l’habit tout entier ! Un vert, aussi acide que sa bile, affiché en opposition aux fastes colorés d’un univers en trompe l’œil et prêt de vaciller (décors Bernard Fau) à l’instar d’une société courtisane que le monarque de Versailles relègue dans ses antichambres et fait asseoir en rang d’oignons sur des banquettes et à qui ne reste pour exister que l’apparat, les embrassades frivoles et les viles flatteries.

Une vie d’enfer pour qui entend, comme Alceste, qu’on « ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur » et comme le suggère la toile peinte devant laquelle s’ouvre la pièce. Teint pâle, comme égaré dans un monde qu’il refuse pour sien, tout à la fois pathétique et comique, Michel Fau, atrabilaire emphatique, amoureux, tour à tour colérique, boudeur, hors de ses gonds, est un Alceste superlatif autant que « bipolaire » comme se désignent aujourd’hui les maniaco-dépressifs. Mais la névrose, ici, n’épargne personne et surtout pas le petit monde clinquant, emperruqué et ivre de soi que sont Oronte le faiseur de sonnets, (Jean-Paul Muel) et les petits marquis (Roland Menou et Frédéric le Sacripan), des précieux ridicules dont la caricature qu’en propose le jeu des comédiens, gomme, et c’est dommage, ce que gît de bas et de vulgaire sous la richesse des falbalas. En revanche, Edith Scob, Arsinoé toute d’acidité mielleuse, distille ses pudibonderies rancunières de vieille coquette sur le retour avec un art consommé. De même sont épatants de justesse, Jean-Pierre Lorit, Philinte sceptique et désabusé, et Laure-Lucile Simon, la discrète et tendre Eliante, contrepoints bien tempérés d’un monde en folie qui ne cesse de se pousser du col et de se monter le bourrichon.

Julie Depardieu laisse entrevoir avec finesse une Célimène à sa manière misanthrope, collectionnant les soupirants, s’étourdissant de mondanités pour mieux se distraire d’elle-même et de la vie et qui, pour finir, face à l’abandon de tous, s’effondre comme une poupée désarticulée. Tout n’est plus que ruines intimes et dévastation cauchemardesque.
Dans le programme, Michel Fau remarque à propos de la pièce : « Le génie de Molière rend ce cauchemar à la fois grotesque et effrayant », celui de l’extravagant et excessif Michel Fau est d’en faire, de saisissante façon, la démonstration et, liant tout ensemble, tragique et comique, nous fait entendre Molière comme rarement.

Le Misanthrope (ou L’Atrabilaire amoureux) de Molière. Mise en scène Michel Fau, avec Julie Depardieu, Michel Fau, Edith Scob, Jean-Pierre Lorit, Jean-Paul Muel, Laure-Lucile Simon, Roland Menou, Frédéric le Sacripan, Fabrice Cals - (durée 2h) -

Théâtre de l’Œuvre tel 01 44 53 88 88.

Photos ©Marcel Hartmann

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

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