Le Dernier Testament de James Frey

Le Christ, le retour

Le Dernier Testament de James Frey

L’Américain James Frey, écrivain quelque peu provocateur, a imaginé l’histoire d’un messie contemporain et new-yorkais, un jeune Juif du nom de Ben Zion Avrohom. Ben a fui sa famille à cause d’un frère très violent. Il se fait appeler Ben Jones, partage la vie de SDF dans les souterrains d’un métro (la place d’un Christ moderne n’est-elle pas auprès des exclus ?) ; il est victime d’un accident de chantier dont il n’aurait jamais dû se remettre. Et pourtant. Ben Jones n’est pas homme ordinaire. Son histoire est racontée par ceux qui l’ont connu, une poignée d’individus qui, tels des disciples, témoignent de miracles et s’en vont répandre la bonne parole. Au terme d’une longue errance, il retourne un temps dans sa famille convertie au catholicisme. Contrairement au faux messie et à l’image de Jésus il ne se revendique jamais comme tel mais dit que Dieu lui parle. Ses crises mystiques prennent la forme de crises d’épilepsie dont il ressort plus savant à chaque fois. Il connaît la Bible par cœur mais il nie l’existence de l’âme, assure que le livre sacré a des auteurs de chair et de sang, que tout cela n’est qu’une histoire inventée par les hommes au profit du pouvoir de quelques-uns. Car la seule expression de la foi réside dans l’amour ; amour de la nature, des arts, de son prochain, filial, conjugal, hétérosexuel ou homosexuel… Ben baise, s’enivre d’amour et d’alcool. Il finirait par faire penser à la philosophie hippie des années 1970 si ce n’était ces miracles, ces témoignages qui attestent son influence bienfaisante sur ceux qui l’entourent, jusqu’à ce policier auquel il fait entendre la voix de son enfant décédé.

Depuis longtemps Mélanie Laurent se bat pour défendre les valeurs auxquelles elle croit, pour une société plus humaine, comme en témoigne le film Demain coécrit avec Cyril Dion et son engagement pour la protection de l’environnement. On comprend pourquoi elle s’est attachée à ce texte plein de bons sentiments sous ses airs provocateurs. On sent que Frey ne fait pas dans la nuance. Nous sommes les maîtres de notre destin, et seul l’amour et la bienveillance peut nous sauver de l’apocalypse qui nous guette et n’a rien de divin.

Avec la complicité de Charlotte Farcet, elle a adapté ce livre de 600 pages d’une assez belle manière et tout reproche de naïveté, pourtant bien présente, s’avère obsolète puisqu’elle la revendique. Pourtant, l’ampleur du projet l’a contrainte à recourir à des clichés, à des facilités telles que ces projections vidéos dont la pertinence n’est pas flagrante, ou cette chorale un peu mièvre surgie du public sans autre raison que de rompre le quatrième mur et de créer un effet artificiel de communion. Globalement la mise en scène ne s’écarte pas d’un premier degré rassurant, peut-être le signe que pour une première fois elle a peut-être vu un peu trop ardu.
Inspirée par la sobriété de Incendies de Wajdi Mouawad qui l’a beaucoup marquée, la scénographie sobre de Marc Lainé et Stéphane Zimmerli déploie un bel espace de terre sur lequel de temps à autre un carré de lumière découpe un espace de jeu. Philippe Berthomé a fait un beau travail de lumières qui pourtant porte le sceau de cette naïveté qui caractérise le spectacle.
Si la direction d’acteurs ne tire pas tout le parti de leur rôle, les comédiens sont tous justes, avec une mention spéciale pour Jocelyn Lagarrigue à qui incombe le rôle difficile de Ben dont il s’acquitte fort bien sans céder à la tentation de surjouer, Lou de Laâge, la tendre sœur de Ben et Gaël Kamilindi, excellent de naturel et de présence dans le rôle de l’avocat et narrateur de cette parabole moderne sur l’amour du prochain salvateur.

Le Dernier Testament de James Frey, adaptation Mélanie Laurent et Charlotte Farcet. Mise en scène Mélanie Laurent. Dramaturgie Charlotte Farcet. Scénographie Marc Lainé et Stéphane Zimmerli. Lumières, Philippe Berthomé. Musiques Marc Chouarain. Costumes, Béatrice Rion. Avec Olindo Bolzan, Stéphane Facco, Gaël Kamilindi, Lou de Laâge, Jocelyn Lagarrigue, Nancy Nkusi, Morgan Perez. Au théâtre national de Chaillot jusqu’au 3 février 2017. Durée : 2h15.

photo : J-L Fernandez

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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