Jusqu’au 3 juillet puis au Festival d’Avignon
Le Bateau pour Lipaïa d’Alexeï Arbuzov
Une jolie comédie à fleur de cœur
Dramaturge né à Moscou, Alexeï Arbuzov, (1908-1986) aimait, dit-on, à nourrir ses pièces de réflexions ou d’incidents attrapés au gré de ses rencontres. C’est ainsi qu’un jour, quelque peu déprimé par ses soixante-seize ans, il croisa un couple de petits vieux qui riaient aux éclats. Convaincu du coup, que la vieillesse n’est pas forcément un naufrage, il décida d’écrire « Le Bateau pour Lipaïa », où au hasard d’une cure, deux cœurs en leur hiver, et que tout oppose, finissent par se rejoindre.
Créée en France en 1977, par ces deux monstres sacrés de la scène que furent Edwige Feuillère et Guy Tréjan, la pièce - reprise en 1997 par Simone Valère et Jean Desailly - fut un des succès du siècle dernier. Remise à l’affiche quelque quarante ans après sa création, en ce XXIème siècle où la vieillesse n’est plus ce qu’elle était et le troisième âge un vaste marché à conquérir de papys et mamis globe-trotters navigant sur la toile, on aurait pu craindre que le bateau ne chavirât. Que nenni ! Délicatement mis à l’eau par le metteur en scène Jean-Pierre Hané et avec à son bord Geneviève Casile et Jean-François Guilliet, il tient brillamment son cap. C’est qu’au-delà de la vieillesse - cette affaire « bien ennuyeuse mais le seul moyen de vivre longtemps » -, sur fond de rencontre improbable et méandres d’âmes solitaires, les deux comédiens nous font entendre que de nouveaux départs sont toujours possibles. A quai, lui, Docteur Rodion, plus british que soviétique, directeur de sanatorium, ours mal léché, revenu de tout et pour qui « entamer une conversation avec une bonne femme mène à l’impasse ». Elle, Lidia, ancienne artiste de cirque d’une redoutable vitalité, bousculant règlement et bienséance, n’entendant n’en faire qu’à son gré, s’amusant à provoquer le vieux bougon qui, après avoir fui l’insupportable curiste, la cherche.
Au fil des rencontres, et dans les décors sobres et modulables qui suggèrent les différents lieux de Delphine Brouard, se dévoilent quelques blessures, lui une fille trop lointaine et trop absente, elle, un fils mort à la guerre ; les armures se fendent, sous la carapace du macho bourru, on pressent un cœur encore capable de battre la chamade et c’est un flot de tendresse que l’on devine tapi sous les extravagances provocatrices de Lidia.
Elle Geneviève Casile, lui Jean-François Guilliet, heureux d’être ensemble en scène accordés à leur rôle comme une évidence, tout à la fois drôles et émouvants, transmuent magnifiquement la comédie sentimentale en une savoureuse et subtile partition à fleur de cœur. N’hésitez-pas à embarquer. Vous ne regretterez pas la traversée.
Et sans doute, en sortant de ce spectacle si finement ciselé, vous vous demanderez sur quels arguments et critères la Mairie de XXème arrondissement a pris la décision de donner un autre destin au Vingtième Théâtre et partant, de priver le public d’une des plus effervescentes scènes parisiennes.
Le Bateau pour Lipaïa d’Alexeï Abuzov. Mise en scène Jean-Pierre Hané avec Geneviève Casile, Sociétaire honoraire de la Comédie-Française et Jean-François Guilliet. Décors : Delphine Brouard, lumières Laurent Bréal, musique : Erik Slabiak, costumes Vincent Dupeyron (durée 1h15)
Vingtième Théâtre 19h30 jusqu’au 3 juillet tel : 01 48 65 97 90
Puis au Festival Off Avignon Théâtre du Petit Chien 12h30 du 6 au 27 juillet
Photo ©Bruno Perrou