La femme n’existe plus de Céline Furher et Jean-Luc Vincent

Une farce politique maligne

La femme n'existe plus de Céline Furher et Jean-Luc Vincent

Si la femme n’existe plus c’est qu’elle est à venir, encore une fois, comme un éternel recommencement ; elle n’est plus l’avenir de l’homme (au risque de déplaire à Jean Ferrat) mais sera l’avenir d’elle-même pour peu qu’elle parvienne à se faire entendre sans s’imposer par la force, quoique…
Céline Furher (une exfiltrée des Chiens de Navarre) et son complice Jean-Luc Vincent ont imaginé un futur où le pouvoir est aux mains d’un parti dictatorial et machiste à fond, le GRAF (Grand retour aux fondamentaux). Consentantes ou terrorisées, les femmes sont à nouveau soumises et retournées à leur cuisine et aux couches de bébé. Pourtant, certains groupuscules, « Souterraines et souveraines », résistent un peu partout en France, planqués dans des souterrains.

Plutôt que de pondre un énième discours de lutte pour la défense des droits des femmes, les auteurs prennent le parti d’en rire sérieusement, le parti de la farce, de la comédie absurde et outrancière (comme en témoignent les costumes très bavards imaginés par Elisabeth Cerqueira) qui raconte l’histoire du féminisme d’hier et d’aujourd’hui et de ses combats, le tout dans un joyeux bazar. Des figures des années 70, fondatrices du mouvement, Françoise (Dolto), Delphine (Seyrig), Simone (de Beauvoir), Ava (compression de diverses personnalités dont la liste est non exhaustive), sont convoquées. MLF et Metoo, même combat. Beaucoup de jeux sur les situations (dans une scène très drôle Delphine apprend à Françoise à draguer, renversant le coup de la panne utilisée par les hommes assez sots pour tomber dans le premier piège de la flatterie) et sur les mots, plus ou moins raffinés mais toujours drôles (« rendez-vous au point G »). Des photos en pagaille d’hommes tous célèbres, coupables ou suspectés de féminicides sont affichées sur un tableau de classe ; des cartons jonchent le sol avec des inscriptions où on lit Le torchon brûle, titre du journal du MLF.
Tandis qu’elles complotent une action musclée pour la Journée de l’homme instaurée à l’initiative du ministre de la Culture Houellebecq, Georgia, l’intelligence artificielle à leur service débite la propagande gouvernementale qui invite les épouses à quitter exceptionnellement leur cuisine pour cette occasion officielle où l’on inaugurera la sculpture d’un pénis monumental. L’IA côtoie les anciens téléphones à cadrans et les pneumatiques, vieux système d’envois de messages transmis dans des tubes, l’ancêtre local du mail.
En vraies résistantes, elles organisent scrupuleusement un véritable attentat qui tournera court pour trahison. Le quatuor, formé par Céline Fuhrer, Valérie Karsenti, Cédric Moreau et Jean-Luc Vincent, fait merveille ; de sketches en gags, sur le mode de la bouffonnerie et de l’excès, le propos invite à ne jamais baisser les bras car le chemin vers l’égalité est long et toujours à refaire. Le spectacle s’achève sur une scène émouvante où l’on entend l’hymne féministe Debout les femmes, repris de nombreuses fois depuis sa création presque fortuite dans les années 70 à l’occasion d’un hommage aux femmes de la Commune de Paris.

Note : la chanson « Debout les femmes » a été écrite par une dizaine de femmes en 1971, entre autres par Josée Contreras qui a eu l’idée de mettre les paroles sur la musique du « Chant des marais » composé en 1933 par des prisonniers politiques communistes du camp de Börgermoor. Puis le chant a circulé plus tard dans les camps de concentration, diffusé par les Brigades internationales. La version française est née probablement dans le camp des femmes de Ravensbruck. Ce n’est que rétrospectivement que Josée Contréras s’est rendu compte qu’il était un peu indécent de comparer ainsi le sort des femmes à celui des prisonniers : « si opprimées que nous estimions être, il ne nous serait pas venu à l’esprit de nous identifier aux résistants antinazis et juifs, aux défenseurs de la république espagnole ou aux millions de victimes des totalitarismes ». Mais, à leur décharge, ce chant n’était pas censé passer à la postérité et connaître un tel succès dans les manifestations et au cinéma.

La femme n’existe plus . Texte et mise en scène Céline Furher et Jean-Luc Vincent. Avec Céline Furher, Valérie Karsenti, Cédric Moreau, Jean-Luc Vincent. Scénographie, Isabelle Fuchs. Costumes Elisabeth Cerqueira. Lumières, Ludovic Bouaud. Voix, Caroline Binder, Solal Bouloudnine, Benoît Crou, Camille Meyneng, Nathalie Meyneng, Christophe Rodomisto, Sébastien Vion. Chant : Katel. Au théâtre du rond-point jusqu’au 31 décembre 2023. Durée : 1 h 30.
Résa : 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

© Yannick Debain

Tournée
Théâtre de Chatillon (92), 12 janvier 2024
Théâtre des 2 rives, Charenton le pont (94), 18 janvier 2024
Le Beffroi, Montrouge, 26 janvier 2024
Théâtre du Bois de l’aune, Aix-en-Provence (13), 22-23 février 2024

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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