Au Théâtre Nanterre Amandiers jusqu’au 6 avril

La célestine de Fernando Rojas, Don Juan de Tirso de Molina

De ciel et de sexe

La célestine de Fernando Rojas, Don Juan de Tirso de Molina

Christian Schiaretti a fait du TNP - Villeurbanne qu’il dirige une véritable fabrique à rêves qui tourne à plein régime et où le répertoire se fourbit en troupe. Après Coriolan de Shakespeare, Par dessus bord de Michel Vinaver et les sept farces de Molière pour ne citer que les plus récents spectacles, il remonte le temps et plonge dans le Siècle d’Or espagnol, berceau de ces grandes figures mythiques que sont La Célestine de Fernando de Rojas, et Don Juan de Tirso de Molina. Deux pièces présentées en alternance dans le même dispositif scénique bi-frontal, estrade du débat et long chemin sur lequel Don Juan comme la Célestine courent à leur perte. Sa couleur carmin et les portes qui l’enserrent en son extrémité, évoquent tout à la fois le ring, l’arène, le lieu du cérémonial et l’esplanade des rencontres.

Don Juan avant Don Juan

Né dans les coulisses du théâtre baroque, entre 1625 et 1630, le héros de la pièce de Tirso de Molina, n’est encore que le Le Trompeur de Séville et l’instrument pédagogique d’un moine soucieux d’en découdre avec une société corrompue qui maquille de rigidité morale ses frivolités et ses dévoiements et de fustiger « ces puissants qui vivent toujours à rebours du ciel ». Autrement dit et comme le remarque le metteur en scène, Don Juan Tenorio ne sait pas qu’il est Don Juan. « Qui suis-je ? un homme sans nom » répond-il à la Duchesse Isabelle qu’il vient de séduire en se faisant passer pour son fiancé . Ce Don Juan là n’est ni libre penseur, ni boutefeu révolté contre les lois du ciel ou des pères. Ne souffrant aucune entrave à l’impulsion de ses désirs, il les transgresse tout simplement. Impie plutôt qu’athée, il multiplie les masques, les serments, les mensonges, peu soucieux des dégâts qui s’ensuivent , court de femme en femme, sans souci du milieu social, ferraille et au besoin tue qui tente de contrecarrer sa jouissance. A son valet qui l’implore de se repentir il rétorque « qu’il a le temps de voir venir », et c’est sans rédemption qu’il meurt dans l’église où l’a convoqué le Commandeur, qui, au pauvre Catalinon effondré par la fin tragique de son maître et murmurant « je suis mort », fait remarquer d’un ton ferme « le mort c’est moi ». Peut-être lui, sait-il déjà qu’en anéantissant le séducteur de Séville, il faisait naître Don Juan.

Un feuilleton métaphysique

La mise en scène de Christian Schiaretti dessine à traits vifs les figures d’une fable morale dont le héros n’est encore qu’un « enfant terrible », produit de la démission des pères au sens où l’entendait Platon, et d’un pouvoir royal décadent. Mais sous son maquillage blafard, c’est déjà les traits du mythe qui affleurent et les siècles qu’enjambe le libertinage.
« La question n’est pas de faire venir sur la scène et directement des idées métaphysiques » affirmait Antonin Artaud, Christian Schiaretti, lui, les suggère en enchâssant la tragi-comédie d’orages célestes et de cantates de Bach. L’enchaînement haletant des scènes donne au spectacle des saveurs d’un lyrique et trivial feuilleton qui emmêle d’un même geste Dieu, le sexe, le cliquetis des épées, la lumière de la Cour et la pénombre des alcôves.
Les dix sept comédiens de la troupe se partagent une trentaine de rôles, et passer d’un personnage à l’autre sans coup férir et en rendre l’humeur, exige une maîtrise que certains jeunes acteurs ne possèdent pas encore d’où le sentiment d’une distribution inégale. Cependant il serait injuste de ne pas citer Julien Tiphaine, Don Juan séducteur pressé et froid, et Damien Gouy qui compose un Catalinon à la frange de la commedia dell’arte et du Sganarelle de Molière, et surtout Alain Rimoux, si souple en son art et rompu à tous les styles, succulent de drôlerie, l’humour à fleur de jeu en Don Diègue, courtisan obséquieux et père dépassé par les frasques de son fils, remarquant harassé : « On a bien du mal avec les enfants ». On le retrouve tout à l’inverse dans « La Célestine », bouleversé de malheur et bouleversant, dans le rôle de Pléberio père de Mélibée pleurant sa fille morte.

Une œuvre au noir

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« Ensorceleuse experte en ruses et malignités diverses, habile à défaire et refaire les pucelages », La Célestine, la plus célèbre des entremetteuses, exerce son négoce avec fierté mais le masque sous divers petits métiers prétextes, « couturière, parfumeuse, fabricante de fards, d’onguents, lotions pour éclairer le teint », qui lui ouvrent toutes les portes et lui permettent de pratiquer ses activités illicites sur toute l’échelle de la société. C’est sous le couvert de vendre du fil qu’elle s’introduit chez Mélibée, jeune fille à la vertu farouche, que ses sorcelleries transforment bientôt en amante brûlante d’amour pour Calixe, jeune homme cruellement rabroué la veille. « Reconnaître et saisir l’occasion fait la prospérité des hommes. » C’est dire qu’une telle affaire ne va pas sans récompense ni sans manigances. Elles seront fatales à tous les protagonistes de l’intrigue.
Les deux valets de Calixe avec lesquels La Célestine avait fait alliance exigent leur part du gâteau, devant son refus obstiné, ils la tuent. Ils sont tout aussitôt arrêtés et décapités ; un peu plus tard, Mélibée devient à la fois femme et veuve, puisqu’en sortant de son lit, Calixe tombe de l’échelle par laquelle il était entré et se tue. Désespérée et déshonorée, Mélibée se suicide après avoir avoué sa faute à son père qui maudit l’amour et le monde « labyrinthe d’erreurs…Monde faux qui nous appâte avec le plaisir et lorsque nous sommes en train d’y goûter découvre l’hameçon ».
Ecrite pour « blâmer les amoureux fous qui, vaincus par leur appétit désordonné disent de leurs amantes qu’elles sont leur Dieu, et les prévenir contre les turpitudes des intermédiaires » La Célestine est une œuvre aussi noire qu’ébouriffée où se croisent tous les genres, le drame et la comédie, le pathétique et la farce, le tout pimenté de picaresque

Une Célestine Courage

La Célestine « engendre d’un coup, le théâtre et le roman, et des trois génies de l’imaginaire de l’Espagne, elle vient en premier, précédant de son pas irrésistible de femme, Don Quichotte et Don Juan » nous rappelle Florence Delay, traductrice et adaptatrice qui en livre, pour le spectacle du TNP, une version charnue et miroitante.
La force des grandes œuvres est que leurs mystères sont inépuisables. Chaque lecture lève un nouveau voile, offre une nouvelle facette. Ainsi en est-il de « La Célestine, semblable et différente selon ses incarnations. Après Maria Casarès magicienne sortie du fond du Moyen âge espagnol, militante d’une liberté où résonnaient quelques échos féministes avec Jean Gillibert, Denise Gence maquerelle nourricière plus que diabolique sorcière avec Marcel Maréchal, Jeanne Moreau sorcière canaille et séductrice qu’Antoine Vitez voyait en Madone des bas fonds, c’est aujourd’hui Hélène Vincent qui, sous la houlette de Christian Schiaretti, endosse les fripes et les amulettes d’une Célestine qu’elle teinte des vigueurs obstinées d’une Mère courage. Prosaïque avec noblesse, volontaire et matoise, la fébrilité des cupides, « le vice des vieillards », le sourire entendu de ceux qui sont revenus de tout et à qui on ne la fait pas, mais se livrant à une danse endiablée et juvénile, après l’aveu de l’amour de Mélibée pour Calixe. Le triomphe de son négoce. Eclatante de farouche humanité, Hélène Vincent extirpe tout le jus des ambiguïtés d’une Célestine la tête froide en affaires, mais que le bon vin rend lyrique et agit autant par plaisir que par appât du gain. A ses côtés, Yasmina Remil (Mélibée), Laurence Besson (Elicia), Clémentine Verdier (Lucrèce) sont tout à fait épatantes.
Derrière le mouvement et les images qu’il affectionne, la mise en scène de Christian Schiaretti fourmille de trouvailles heureuses et d’allusions aux œuvres dans lesquelles quelques particules de « La Célestine » ont essaimé et de Shakespeare à Cervantès, jette des ponts de celle-ci à ceux-là ; Avec « Don Juan » et « La Célestine » c’est un savoureux diptyque, aussi savant que populaire, qu’il propose.

La Célestine de Fernando de Rojas (3h 30), Don Juan (2h30) de Tirso de Molina mise en scène Christian Schiaretti, avec : Laurence Besson, Clémentine Verdier, Olivier Borle, Jeanne Brouaye, Raphaëlle Diou, Philippe Dusigne, Julien Gauthier, Nicolas Gonzalès, Damien Gouy, Béatrice Jeanningros, Benjamin Kerautret, Clément Morinière, Daniel Pouthier, Loïc Puissant, Jérôme Quintard, Alain Rimoux, Yasmina Remil, julien Tiphaine, Hélène Vincent.

La Célestine : du 10 au 30 mars 2011, du 2 au 3 avril 2011 à 20H00.
Relâche le lundi.

Don Juan : du 12 au 31 mars 2011, du 1er au 6 avril 2011 à 20H30
Relâche le lundi.

Crédit photo : Christian Granet

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

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