La Réunification des deux Corées de Joël Pommerat
Une version franco-singapourienne de la pièce
Assez éloigné de la saisissante mise en scène au noir de Joël Pommerat (2013) où les saynètes successives semblaient surgir de nulle part pour quelques minutes, aussitôt avalées par l’obscurité, le spectacle de Jacques Vincey ne s’en dégage pourtant pas totalement ; s’il ne reproduit pas, il ne réinvente rien malgré la distribution qui mêle des comédiens d’origines chinoises, malaises et indiennes et un texte en anglais qui décentrent la pièce (le projet est né à l’occasion d’un travail mené à Singapour avec la compagnie Theaterworks). Le talent d’écriture de Pommerat résiste à l’anglais et aux sous-titres, dispositif un peu difficile à digérer.
Vincey a resserré l’aire de jeu dans un dispositif traditionnel frontal, quand chez Pommerat le bi frontal ouvrait l’espace central. Mais comparaison n’est pas raison et le choix de Vincey se défend parfaitement. Au centre de la scène, rétrécie et enfermées dans de hautes parois, une sorte de ring, un espace de lutte où vont se jouer ces variations sur l’amour dont l’ensemble offre une sorte de kaléidoscope de ses multiples dimensions. Il s’agit souvent d’un combat âpre et quand le conflit en vient aux mains, on sépare les belligérants comme sur un ring de boxe. Les rares moments heureux appartiennent au passé comme cet homme qui rend quotidiennement visite à sa femme frappée de la maladie d’Alzheimer et qui, pour lui expliquer l’émerveillement de leur rencontre 17 ans plus tôt, évoque ce que serait, pour les populations, le bonheur d’une improbable réunification des deux Corées. La plupart des situations mettent en scène des situations rudes. Il y a cette femme qui quitte son mari au milieu de la nuit parce que « l’amour ne suffit pas » ; ces deux amis de toujours qui se déchirent pour un malentendu ; cet instituteur accusé de pédophilie et dont on ne saura jamais s’il s’est coupable d’acte répréhensible ; terrible aussi ce couple en souffrance d’enfant, qui engage une baby-sitter pour garder des enfants imaginaires et l’accuse de les avoir fait disparaître ; comme pour détendre l’atmosphère, cette scène de mariage drôle, et tragique, dans laquelle, deux minutes avant la cérémonie, on découvre que le marié a dragué toutes les sœurs de sa promise.
Par deux ou trois, les comédiens se présentent sur la scène, après avoir enfilé les costumes en attente sur des portants et qui seront laissés au sol comme s’ils se débarrassaient de la peau de leur personnage. Ils interprètent les saynètes avec un grand engagement physique. On soulignera la beauté des lumières de Marie-Christine Soma, la belle idée du musicien en suspend dans les airs, et la délicatesse de la musique et des chants interprétés avec talent par les acteurs. En épilogue, le spectacle s’achève sur des images noir et blanc où l’on voit les comédiens sur une piste d’autos tamponneuses tandis que les comédiennes les regardent vaguement amusées ; la dernière image, un rien moqueuse, les montrent en train de quitter ensemble l’attraction tandis que sur la piste ils dansent romantiquement par couples sous les éclats de la boule tango au son d’une musique bien mièvre.
La Réunification des deux Corées de Joël Pommerat. Mise en scène Jacques Vincey. Spectacle en anglais surtitré en français. Avec Cynthia Lee MacQuarrie, Ebi Shankara, Janice Koh, Karen Tan, Pavan J Singh, Tan Shou Chen, Timothy Nga, Umi Kalthum Ismail, Zelda Tatiana Ng. Musicien Alexandre Meyer. Traduction et collaboration artistique Marc Goldberg. Scénographie Dennis Cheok. Lumières Marie-Christine Soma. Musique et son Bani Haykal. Costumes Afton Chen. Vidéo Brian Gothong Tan. A la mC 93 à Bobigny jusqu’au 1er décembre 2018 à 20h. Durée : 2h15.