La Petite Boutique par la grande porte

Pour les fêtes, l’Opéra Comique donne la comédie musicale hilarante La Petite Boutique des horreurs avec une ampleur symphonique.

La Petite Boutique par la grande porte

Signe des temps, les comédies musicales des années 70 reviennent à l’affiche. Après Starmania qui a ouvert le bal à la Seine musicale en novembre, puis Cabaret au Lido début décembre, voici La Petite Boutique des horreurs, à l’Opéra Comique. Pour les fêtes et un public très large, y compris les enfants qu’elle ne cesse de guigner, l’institution nationale, temple du théâtre parlé-chanté, adoube ainsi le genre jusqu’à présent dédaigné des comédies musicales. Dans la foulée, les instruments électriques font leur entrée avec l’ensemble Le Balcon et sa vingtaine de musiciens qui occupent la fosse, dirigés par leur chef Maxime Pascal. Pas piqué des vers, le spectacle sonorisé fait montre d’une drôlerie et d’une créativité qui raviront les amateurs du genre.

Cette Petite Boutique des horreurs revient de très loin. D’abord d’une nouvelle de H. G. Wells (1894) dont se sont inspirés deux films (respectivement datés de 1960 et 1986) ; ensuite, d’une comédie musicale créée à New York en 1982, dans une toute petite salle de l’Off-Off-Broadway. Le succès aidant, cette comédie musicale en deux actes écrite par Howard Ashman et composée par Alan Menken, grandes pointures des Studios Disney, a tout comme la plante carnivore grandi ; elle a vite quitté la petite salle pour de plus grandes de Broadway et même atteint une diffusion internationale. Dont une adaptation française réalisée en 1985 par Alain Marcel avec quelques jeux mots savoureux (« J’m’en bats le pistil ! », dit la plante).

Entre grand guignol et série B, le thème commun est l’histoire d’une plante rare qui grandit, grandit jusqu’à occuper toute la place dans la boutique moribonde du fleuriste Mr Mushnik, qui grâce à elle retrouve le succès, dans un quartier pauvre de New York. Carnivore, ou plutôt vampire, la plante a besoin de sang humain pour assurer sa croissance. Elle finit par dévorer tout le monde dans la boutique, y compris son découvreur, le jeune Seymour, horticulteur en herbe, et sa collègue Audrey dont il est éperdument amoureux, laquelle est fiancée au dentiste sadique Orin, qui la martyrise.

C’est la version française de 1985 qui est reprise à l’Opéra Comique avec une orchestration d’Arthur Lavandier qui lui donne une ampleur nouvelle. Maxime Pascal, très sensible au style « chanson-symphonique » d’Alan Menkel, est un fan et admire l’éventail des musiques américaines des années 50/60 déployé dans la partition : jazz, doowop (style pop-jazz), gospel, soul, rhythm and blues et country, sans parler des échos des traditions musicales d’Europe de l’Est véhiculés par les migrants, notamment les Juifs. Il a négocié avec Alan Menken, toujours en activité, et obtenu que le band d’origine voie ses effectifs augmenter jusqu’à atteindre une dimension symphonique. Sans perdre toutefois l’esprit minimaliste original d’une œuvre qui parle des petites gens.

Moitié postérieure

Avec son décor unique d’ancienne station essence reconvertie en boutique de fleuriste au coin d’un rue, le spectacle est bien sûr centré sur la plante carnivore conçue par la plasticienne Carole Allemand, manipulée de l’intérieur par un marionnettiste. Aux commandes pour la mise en scène, le couple infernal Valérie Lesort et Christian Hecq, habitué de la maison, ne cherche pas à rivaliser avec les effets spéciaux du cinéma (ce serait perdu d’avance) et met en branle une mécanique très réglée, colorée, rétro et drôle avec une foule de trouvailles et de gags scéniques, qui vont jusqu’au gore. Ainsi, Audrey est découpée en deux par la plante-monstre et Seymour se lamente sur sa moitié postérieure, la seule à lui rester en mains ! De plus en plus inquiétante à mesure qu’elle grandit (avec ses bras tentaculaires qui happent le quidam qui a la malheur de s’approcher), la plante se voit dotée de la parole, réclamant de plus en plus fort ses proies humaines. Dont le dentiste psychotique Orin, sorte d’Elvis à la manque, avec sa combinaison en similicuir moulante et sa banane gominée, qui sera le premier à y passer.

Avec le physique et l’âge de leur rôle, les chanteurs venus principalement de l’opéra mais aussi de l’opérette, du gospel et de la soul se prêtent volontiers aux indications de la mise en scène. Les deux interprètes principaux, le baryton/ténor Marc Mauillon, et la soprano Judith Fa donnent au couple impossible Seymour/Audrey une fraîcheur attendrissante. Pour sa part, le ténor Damien Bigourdan (qui joue plusieurs rôles) campe un Orin désopilant et le Baryton Lionel Peintre un Mushnik boutiquier bougon. Mais la palme va au trio de chanteuses qui font office de chœur à l’antique et qui rappellent furieusement The Supremes aux grandes heures de la Motown.

Photographie : Stefan Brion

La Petite Boutique des horreurs, jusqu’au 25 décembre à l’Opéra Comique, www.opera-comique.com
Direction musicale : Maxime Pascal. Mise en scène : Valérie Lesort et Christian Hecq. Décors : Audrey Vuong. Costumes : Vanessa Sannino. Lumières : Pascal Laajili. Chorégraphie : Rémi Boissy. Marionnettes : Carole Allemand. Projection sonore : Florent Derex.
Avec Marc Mauillon, Judith Fa, Lionel Peintre, Damien Bigourdan, Sofia Mountassir, Laura Nanou, Anissa Brahmi, Daniel Njo Lobé, Sami Adjali. Ismaël Belabid, Julie Galopin, Joël-Élisée Konan, Shane Santanastasio a.k.a Lil Street Ish, Justine Volo.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de...

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