Paris, Théâtre de la Colline jusqu’au 30 novembre
La Mission de Heiner Müller
Des lendemains désenchanteurs
Inspirée par une nouvelle de Anna Seghers, La Lumière sur le gibet, cette pièce de Heiner Müller datée de 1979, s’interroge sur les trahisons politiques post – révolutionnaires et la perte des espérances ou illusions qu’elles entraînent. Le dramaturge allemand (1929-1995), porte un regard aigu sur une période charnière de l’Histoire de France, qui sert de toile de fond à son propos. Le 4 février 1794, la Convention abolit l’esclavage dans les colonies. Trois émissaires se retrouvent sur l’île de Jamaïque, possession britannique, pour tenter de fomenter une révolte nécessaire à élargir son application. Dubuisson (Charlie Nelson) propriétaire esclavagiste, sensible aux idées révolutionnaires, son factotum Galloudec (Claude Duparfait) paysan breton, et un esclave noir évadé, Sasportas (Jean-Baptiste Anoumon). Confrontant leurs analyses, méthodes ou contradictions, leur “mission “ deviendra caduque avec le rétablissement de l’esclavage par Bonaparte. Sans que pour autant ils abandonnent le combat. Ce n’est qu’en juillet 1848, sous l’impulsion de Victor Schoelcher (1804 – 1893) que ce régime d’exploitation de l’homme sera définitivement interdit en France et dans ses colonies.
Après de nombreux metteurs en scène, c’est au tour de l’Allemand Michael Talheimer, dont on a pu voir notamment en 2010, dans ce même théâtre, une version sombre et tendue de Combat de nègre et de chiens , de reprendre La Mission , qui lui apparaît être “ en écho ” avec la pièce de Bernard-Marie Koltès, en réunissant les mêmes interprètes. Avec la complicité de son scénographe Olaf Altmann, il convoque les personnages à partir des bras d’une sorte de roue à aubes, en mouvement depuis les dessous de scène, qui semble faire ressurgir les fantômes du passé. La représentation oscille entre un expressionisme cauchemardesque, la mascarade et le grotesque (parfois sanguinolent), sous les ailes d’un “ ange du désespoir ” (Noémie Develay-Ressiguier). Le ton change et prend une toute autre dimension, avec le monologue rageur, kafkaien et intense en langue allemande (traduction projetée aléatoire), d’un homme (Stefan Konarske), placé dans un ascenseur métaphorique, pour remplir, sous une pression hiérarchique, “ une mission inconnue … au-delà de la civilisation”. En contribuant à faire entendre la réalité sociale du temps présent. Avec des comédiens convaincants, la parole intemporelle de Müller passe la rampe avec intensité.
La Mission de Heiner Müller, traduction de l’allemand Jean Jourdheuil et Heinz Schwarzinger (Editions de Minuit) , mise en scène Michael Talheimer, avec Jean-Baptiste Anoumon, Noémie Delavay-Ressiguier, Claude Duparfait, Stéfan Konarske, Charlie Nelson.
Scénographie Olaf Altmann, lumière Norman Plathe, costumes Katrin-Lea Tag, musique Bert Wrede. Durée : 1 heure 30.
Théâtre national de la Colline jusqu’au 30 novembre 2014.
photo Elisabeth Carecchio