jusqu’au 15 février 2015

L’Affaire de la rue de Lourcine d’Eugène Labiche

Allume, j’étouffe

L'Affaire de la rue de Lourcine d'Eugène Labiche

Dans cette comédie en un acte bâtie sur un quiproquo absurde, Labiche trousse un portrait assassin de la société bourgeoise du XIXe siècle qui prend l’eau de toutes parts. On y fréquente son monde et on méprise ceux qui n’en sont pas, mais, par ailleurs, on n’est pas trop à cheval sur sa propre moralité ; on serait même prêt à tout pour sauver la face et les convenances. C’est ce qui arrive à ce pauvre Lenglumé qui se retrouve, au lendemain d’un soir de beuverie clandestine, englué dans une histoire rocambolesque avec un certain Mistingue, cuisinier de son état, qui allez savoir comment, partage son oreiller ce matin-là. Par un stupide malentendu, assorti de troublantes pièces à conviction, les voilà convaincus d’avoir commis un meurtre. Effarés par cette hypothèse, tenaillés par la culpabilité, ils chevauchent leurs fantasmes au galop devant les yeux ahuris de Madame et du valet.

Éclairage du versant noir de la pièce

Si leurs aventures ridicules sont risibles, ils n’en vivent pas moins un véritable cauchemar. C’est ce versant noir qui domine le spectacle. Le metteur en scène Yann Dacosta prend ses distances avec la tradition et maîtrise son point de vue original de bout en bout. La scène initiale donne le ton ; on est plongé au coeur du cauchemar de Lenglumé qui rêve d’une boîte de nuit peuplée de danseurs aux masques fantastiques qui s’agitent sur une piste de danse. Au réveil, la piste de danse s’avère être son lit qui deviendra une fontaine. Notons la scénographie habile de Fabien Persil et William Defresne, on ne peut plus signifiante et esthétique, et les lumières de Thierry Vareille qui contribuent à l’ambiance inquiétante qui évoque les romans de Maurice Leblanc ou de Gaston Leroux.

Rythme, justesse et inventivité

Excellent directeur d’acteurs, Dacosta imprime au spectacle le rythme nécessaire, et les comédiens, justes et inventifs, font tous merveille, loin des clichés traditionnels. Benjamin Guillard est un Lenglumé apoplectique, perpétuellement agité. Pivot de l’édifice, il ne confond pas vitesse et précipitation. Son duo avec Mistingue (Guillaume Marquet) est excellent. Sa femme Norine, qui se prépare au baptême du neveu Potard, déambule bigoudis sur la tête et masque de beauté sur le visage pour finir dans une robe moche à souhait mais tellement chic (costumes de Morgane Mangard). Hélène Francisci lui prête une énergie et un abattage certains. Le valet Justin est perpétuellement éberlué (Pierre Delmotte) à peu près autant que le cousin Potard (Jean-Pascal Abribat), tout de vert pomme vêtu. Les comédiens ne cherchent jamais à faire rire ; tels des marionnettes sanglées dans leur statut social, ils jouent à fond la situation au premier degré, révélant ainsi conjointement la cruauté du propos et la drôlerie de la pièce.
Cette sombre sarabande est conduite sous les auspices de la musique de Pablo Delcoq, lointain écho des mélodies de Kurt Weill, qui participe à l’architecture du spectacle. En compagnie de Pauline Denize (voix et violon), Decoq accompagne l’action sur scène à la guitare d’une belle voix grave. Cerise sur le gâteau, les quelques interventions chantées des comédiens, sont de qualité.
Si on n’y rit jamais franchement, on savoure tout autant les perfidies et les répliques claquantes de Labiche que le talent, le style et l’originalité avec lesquels cette Affaire est rondement menée.

L’Affaire de la rue de Lourcine d’Eugène Labiche. Mise en scène Yann Dacosta. Compositeur, Pablo Delcoq. Musiciens sur scène, Pauline Denize, Pablo Decoq. Costumes, Morgane Mangard. Lumières, Thierry Vareille. Scénographie, Fabien Persil et William Defresne. Son, Johan Allanic. Mise en danse, Frédéricke Unger. Au Théâtre 13/Seine du 6 janvier au 15 février 2015, mardi, jeudi et samedi à 19h30, mercredi et vendredi à 20h30, dimanche à 15h30. Rés : 01 45 88 62 22. Durée : 1h15. A partir de 10 ans.
www.top-bb.fr

© Julie Rodenbour

Tournée 2014 / 2015
2 avril 2015 : Théâtre Roger Barat – Herblay (95)
9 et 10 avril 2015 : Le Gallia Théâtre - Saintes (17)
21 avril 2015 : Le Rive Gauche - Saint-Étienne-du-Rouvray (76)
19 mai 2015 : Théâtre des Chalands – Val-de-Reuil (27)

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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